Commentaire de « l’article 122-1 du code pénal
« porte dérobée de la justice ». |
« Page I - a » Plan dans la page : I.
Commentaire du 122-1 ▬
II.
L’article 64 comme le
122-1 ▬
III.
De l’article 64 au
122-1 ▬
IV.
Les
« présupposés » ▬
V.
L’abolition attendue. ▬
VI.
Droit, maladie,
justice. ▬
Annexes : VII.
Tableau des
ordonnances ▬.
VIII.
Tableau chemins Ancien
Régime ▬
IX.
Tableaux
dé-judiciarisations ▬
X.
Note : La
« pseudo médicalisation » ▬
Épilogue ▬
|
Liens dans le site ▬ :
|
Systématisation :
L’article 64 du Code Pénal
de 1810 était la clé de voûte du « premier système psychiatrique
français ».
L’article 122-1 du nouveau
Code pénal de 1992 est la clé de voûte du « second système
psychiatrique français ».
________
Guides pour cet exposé :
Voir les tableaux commentés en Annexes
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I.
Commentaire propre à l’article 122-1 du nouveau Code Pénal (1992-1994)[1] |
L'intitulé du chapitre II du titre II du livre Ier du nouveau Code Pénal s'intitule : « Des causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité ».
Par l'article Ier (122-1) la loi déclare : « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes », Mais elle « demeure punissable » si son « discernement » a seulement été « altéré » ou le « contrôle de ses actes » « entravé ».
1. Les faits. Le premier temps consistera donc en l’établissement de « faits ». On en notera le « moment », en vue de déterminer « l’état psychique de la personne » à ce « même moment »,.puisque la loi aura des conséquences différentes selon son état à ce moment-là.
2. Perte de la dimension juridique (responsabilité).
Puis le Législateur semble considérer que la « punissabilité » est comme une forme première, moins aliénable, de la « responsabilité », antérieure à elle, puisqu'il emploie l'expression « demeure punissable », le reste de la responsabilité étant érodé ou perdu.
Mais quelle peut être cette partie perdue de la responsabilité lorsque « la personne demeure punissable », alors qu’habituellement la responsabilité est appréciée avant la sanction ?
Ici :
1. Législateur estime qu’une personne est atteinte de troubles mentaux.
2. Estime pouvoir lui dénier de ce fait la pleine paternité d’un acte.
3. Estime sa personnalité inachevée et inaccessible à la responsabilité.
4. Justifie au nom de ces troubles mentaux la possibilité d’inverser les termes habituels d’un procès.
5. Conserve la punissabilité en refusant la responsabilité.
Succession des conclusions ß
|
Normalement la justice ↓
|
Ici le tribunal ↓ |
Principe premier
|
Prend acte des faits
(« principe de réalité ») |
Prend acte de la
« personnalité » (« état psychique ») |
Causalité |
Etablit le « lien »
entre les faits et la personne |
« conjure » les faits par la dénégation de la
reconnaissance de « l’auteur ». |
Rôle de la personne |
Attribue les faits à une
personne (« responsabilité ») |
En déduit une non
implication de la « personnalité » dans les faits (« irresponsabilité ») |
Sanction pénale |
Estime le poids des
contraintes et des circonstances (« sanctions réclamées ») |
Détermine la « punition »
sans « responsabilité », en « tenant compte »
de la personnalité (Cf. infra). |
Réalités médicales ou
contingentes |
Puis sanctions « appliquées »
ou non. |
Défiant le principe de
réalité, etc. |
En somme ici, loin que le tribunal ne juge « l’aliéné », il s’applique, sans succès, à définir « l’aliénation », par une « absence ».
En réalité, « la responsabilité » vient toujours avant toute « punition ».
Et ce qui est appelé ici « punition » peut bien en avoir la forme, mais ne peut en avoir le sens. Qu’est-ce qu’une sentence s’il n’y a pas de jugement, ou s’il n’y a que tribunal spécial ?
Or, il n’est sans doute en rien utile à l’ordre public d’assimiler « l’acte d’un réputé insensé » à une force aléatoire.
Il devient surtout difficile de proposer des soins à une personne dont les manifestations de l’existence sont ainsi déniées, par la justice, du fait précisément des manifestations elles-mêmes qui seraient susceptibles de faire l’objet de la demande de soins.
Il y a dans la reconnaissance de la « responsabilité », une reconnaissance symbolique, refusée ici à la personne atteinte de troubles psychiques, alors que c'est justement cette reconnaissance symbolique et pleine de la part de la justice que nous réclamons pour les malades mentaux, bien plus que les sanctions.
3. Primauté de la dimension exécutive (punissabilité).
Avec cette responsabilité évacuée, c’est toute la pertinence juridique du sujet qui est perdue, au profit d’une dimension exécutive considérée comme seule pertinente.
Et, non seulement la rupture du lien qui mènerait normalement du « responsable » au « punissable » traduit la libération de l’exécution de ses liens habituels de subordination au jugement, mais, même, cette primauté donnée désormais au dit « punissable » témoigne d’un renversement spectaculaire des ordres : L’exécution prime sur la justification. Nous verrons aussi plus loin, avec l’ordre d’apparition de lois, en, quoi l’exécutif détermine le judiciaire.
Chez la personne dont le discernement est déclaré « altéré », selon cette loi, c’est la personnalité juridique qui est déclarée perdue. Lorsque la justice considère qu’une personne est aliénée, elle inverse pour cette personne la hiérarchie structurelle de nos institutions. Comment cela pourrait-il aider une personne « troublée » à recouvrer l’entendement ?
Nous eussions, en vue des soins destinés à la réhabilitation, préféré exactement le contraire.
4. Choix d’une « peine ».
La suite de l'article nous apprend que la possibilité de discrimination en matière de « peine » est aussi « qualitative ». Comment sera choisie la peine ?
Nous pouvons dès lors émettre deux hypothèses sur les intentions supposées du Législateur, mais dont nous ne pouvons retenir juridiquement que le résultat (Cf. infra : « les intentions »):
1.
Une protection de
l’ordre public ?
Soit le Législateur dans une logique purement « pragmatique », hors d'une logique judiciaire ordinaire, car celle-ci apprécie la responsabilité avant la peine, aura voulu « protéger la société contre un malfaisant », délaissant les égards dus à un citoyen ordinaire.
2. Une recherche d’une attitude thérapeutique ?
Soit, il aura cherché à se placer dans une logique de « structuration mentale », considérant que « la punition peut aider à la guérison », même en l'absence de « reconnaissance de la responsabilité ».
Mais l'on craint que, sortant ici de son rôle, il ne prive alors la personne atteinte de troubles psychiques de l'essentiel des outils permettant sa maturation mentale, la « reconnaissance de ses droits » normaux à:
Ø une vie publique, normalement accessible aux tribunaux,e
Ø et à une vie privée, et dans celle-ci, à la maladie, non sanctionnable.
5 Choix
d’une contrainte.
Notre appréhension se renforce lorsque, à la fin du 122-1, l’on peut craindre d'entrevoir une utilisation possible de « l'hospitalisation-sous-contrainte » comme concrétisation de cette dite « punition », puisque le Législateur ajoute « toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime ».
Dans les deux cas de logique, en sortant de sa logique judiciaire ordinaire, et en cherchant peut-être à atteindre une fonction thérapeutique qui n'est pas la sienne, le juge ne juge plus les deux parties, l'agresseur et la victime, dans le même registre.
6 Reproduction de la chimère de la loi de 1838 : « Ordre public et soins » par la même opération?
On craint même que, souhaitant poursuivre simultanément ces deux logiques, supposées être « d’ordre public » et de « soins », qui n'ont strictement rien à voir entre elles, sinon ici d’être toutes les deux coercitives et de se situer hors de la juridiction commune, il ne poursuive la « chimère » que nous dénoncions à propos de la loi du 30 juin 1838 et, vis à vis de la personne atteinte de troubles psychiques, n'échoue doublement.
Dans ce cas, on continuera de remarquer que ce qui était auparavant, par la loi de 1838, « abandonné à la discrétion » de « l’ordre préfectoral » seulement du fait du « retrait juridique » (article 64 de 1810), devient maintenant un « principe premier » dans le nouvel «ordre juridique » concrétisé par le 122-1 du nouveau code pénal, dont l’action dite de justice est finalement comparable à celle du préfet auparavant.
Le solde de cette double ambition ne mène habituellement qu'à l'enfermement, peu importe le nom qu'on lui donne.
En conclusion, il y a, dans cet article de loi, matière à réflexion sur la différence entre « le pardon » qui abolit « la peine » et « le mépris » qui tente d'abolir « la reconnaissance ».
La soustraction aux lois ne peut être le fait que d’un citoyen « au-dessus des lois », ou d’un citoyen « au-dessous des lois » : Nul doute que ce sont les membres de la seconde catégorie qui sont ici signifiés par cette « dé-judiciarisation ».
II. Commentaire qui concernait déjà l’article 64 du Code
Pénal de 1810. |
On relira la formulation de cet « article 64 du code Pénal de 1810 », dont « le 122-1 » reste encore, en ce début de l’an 2007, le premier et seul remaniement:
« Il n’y a ni crime ni délit si l’inculpé était en état de démence au temps de l’action, ou a agi sous l’empire d’une force à laquelle il n’a pu résister »
Si des raisons techniques avaient dû empêcher de juger la personne, on aurait invoqué la « démence au temps du jugement ».
La « démence au temps de l'action », reprise en d'autres termes par « l'article 122-1 du nouveau Code Pénal », indique bien que c'est « la matière à juger » qui est évacuée par une sorte de « déni de la réalité », doublé peut-être si l'intéressé demande à être jugé, ce qui n'est pas rare, d'une sorte de « déni de justice légalisé ». Les nouvelles législations en séparant responsabilité civile et responsabilité pénale ont tenté d'améliorer cette situation, sans toutefois supprimer la « dé-judiciarisation pénale » qui est reconduite par l'article 122-1.
III. De l’article 64 du Code Pénal de 1810 au 122-1 du
nouveau code pénal de 1992-1994. |
1.
Les conséquences du non-lieu :
1 L’ancien code pénal de 1810 ne prenait en compte
aucune conséquence du non-lieu. Mais il fit « le lit » de la
création des asiles d’aliénés en 1838. Il semble avoir été de plus en plus lu
dans le sens de l’inflation, alors qu’il aurait pu être lu dans le sens
inverse, celui de la limitation des déresponsabilisations.
2 La sentence découlant du nouveau code pénal de 1992-1994 inverse les logiques de la causalité et de la prospective (punissable avant d’être responsable, adaptation de la punition au mental supposé avant la reconnaissance des actes), et mêle dès le départ le pragmatisme de la contrainte aux abstractions de multiplicités conceptuelles hétérogènes :
Justice, science (abolition du discernement), morale (punition), philosophie (irresponsabilité mais punissabilité), police (transmissions des dossiers à la préfecture, ordonnance préfectorale), médecine (nombreux certificats médicaux d’experts et des futurs soignants).
Plus tard les
intervenants chargés d’appliquer la sentence seront multiples et leurs
fonctions multiples :
Double rôles des médecins (à la fois d’expert chargé de rendre des comptes à la préfecture et de soignants),double rôle des infirmiers (à la fois administratif et médical), double fonction du langage reçu et donné (relation impérative et relation psychothérapique), etc. (Dans l’ancien système, ces rôles étaient considérés comme découlant organiquement uniquement de la loi de 1838. Maintenant ils sont pris en compte par les juges du non-lieu).
Ainsi, la sentence
apparaîtra inassumable à des acteurs dont la reconnaissance du champ de
compétence est indéterminée et celui des responsabilités insaisissable.
2. Les causalités :
1 Dans l’ancien code pénal de 1810, la formule de l’article 64 : « Il n’y a ni crime ni délit si l’inculpé était en état de démence au temps de l’action » impliquait que chez un « dément », « l’état de démence », assimilé à « rien » de la part de l’intéressé mais à une force exogène irrésistible, était automatiquement responsable des dites actions du dément. La justice écartait toutes les conjonctures d’un rapport de causalité impossible à établir, en se dessaisissant.
2 Dans le nouveau code pénal de 1992-1994, l’analyse de la causalité est subjective : Désormais, l’article 122-1 permet à la justice de sélectionner parmi les « actions », celles dans lesquelles elle estime qu’il existe un rapport de causalité imputable à l’état de démence « graduel » qu’elle attribue à la personne.
Comment le prétoire pourrait-il opérer, sans preuve,
une telle sélection des causalités, qu’il est douteux qu’un spécialiste,
psychiatre ou psychanalyste, s’avancerait à élaborer en toute certitude? Or, le
prétoire ne peut être un laboratoire de « la vie privée mentale »,
et le respect des intimités inutiles à l’exercice judiciaire continue de
s’appliquer pour ce qui n’est pas concerné par les affaires devant être jugées.
3.
Les sciences et le code pénal :
L’assimilation de la « démence » déclarée à un « rien » de la part de l’intéressé, à quoi le code pénal la réduirait pour lui, permettant à la justice de se l’approprier, pareillement selon les deux codes pénaux si elle est déclarée totale, graduellement dans le second si elle est déclarée partielle, pour justifier son retrait, n’est une donnée d’aucune science.
4.
L’ordre judiciaire et l’ordre
préfectoral :
1. Dans le « premier système psychiatrique français (1810 – 1838) », logiquement, « l’ordre judiciaire » (non-lieu), de 1810, avait engendré « l’ordre exécutif » (préfectoral) de 1838 : L’opération judiciaire intervenait normalement avant l’opération préfectorale. Le premier système n’autorisait pas la transmission de dossier judiciaire à la préfecture.
2. Mais dans le « second système psychiatrique français (1994– 1990) », la réforme de « l’ordre préfectoral » par la loi du 27 juin 1990 est venue avant la réforme de « l’ordre judiciaire » par le nouveau code pénal (1992-1994). C’est la réforme de la loi de 1990 qui légalisa pour la première fois le transfert des dossiers dits de psychiatrie (expertises, etc.)du judiciaire à l’exécutif[2], en cas de « dangerosité estimée », chargeant ainsi la préfecture d’y donner suite.
Engendrements =>
|
Ordre judiciaire |
Ordre préfectoral
|
Dossiers
|
« Premier
système psychiatrique français » |
1810 (article 64) → |
1838 : Création des « Asiles
d’aliénés » ↓ |
Séparation
des dossiers
|
« Second
système psychiatrique français » |
1992-1994 (article 122-1) |
← 1990 : « Hospitalisations sous contrainte » |
Transmission du dossier judiciaire à la préfecture en application de l’article L.348 de la loi de 1990 |
« Nouvel ordre idéologique » |
=>
Nouvelles chronologies des pratiques « en pratique »
|
3. La mise en parallèle des dates dans les deux systèmes fait ressortir « un nouvel ordre logique », rendu possible par l’utilisation administrative de la psychiatrie, celui d’une certaine primauté de l’exécutif sur le judiciaire, qu’il est significatif de souligner car il témoigne, en réalité, d’un changement idéologique important : Ce nouvel ordre logique deviendra ainsi, dans un sens, l’ordre chronologique souvent mis en œuvre dans la pratique. Par exemple, même avec les « hospitalisations à la demande d’un tiers », l’exécution de la contrainte « précède » habituellement sa « régularisation légale » par l’écriture du « second certificat » de médecin qui est généralement rédigé dans l’hôpital, au chevet d’une personne pour laquelle un « traitement » a parfois déjà été initié, comme s’il était acquis que ce second certificat n’ait qu’à confirmer le premier, alors même que la loi l’a prévu pour contrôler le bien-fondé du premier !
4. Au total
Ø L’exécutif occupe chaque jour davantage, depuis 200 ans, une « fonction directrice », et la voix de la « psychiatrie administrative [3]» y tient de plus en plus « officiellement » un important rôle « inspirateur » et « initiateur » (Cf. sur ce nouvel ordre logique : in : « L’invention de la psychiatrie » : ▬).
Ø Bien que les interpénétrations multiples des nouveaux textes multipliant surtout les « procédures » interdisent, en réalité, toute formulation précise d’un « esprit directeur » (« desseins »), on pourrait, à partir de faits tels que cité plus haut, schématiser la tendance structurale en disant
Ø qu’en 1838 la psychiatrie apparaît quand la justice se retire,
Ø mais qu’aujourd’hui la justice « s’incline » quand la psychiatrie apparaît.
Ø Enfin, on comprend, en tout ce que « l’article 122-1 » reproduit de « l’article 64 », combien on a « tourné en rond » à l’intérieur de ce « carré structural » de la psychiatrie :
1810 (article 64) → |
1838 : Création
des « Asiles d’aliénés » ↓ |
↑ 1992-1994 (article 122-1) |
← 1990 : « Hospitalisations sous contrainte » |
L’article 64 du code pénal de 1810 faisait le lit de la loi de 1838.
La loi de 1838 est globalement réaffirmée en 1990.
La loi de 1990 implique mathématiquement l’article 122-1 (ou l’article 64).
C’est donc désormais « simultanément » dans les deux registres, pénal et préfectoral, qu’il faudra abroger ces lois.
IV. Les « présupposés » communs à la
loi de 1990 et à l’article 122-1 du code pénal de 1992-1994. |
Ils apparaissent dans les textes :
Loi
du 27 juin 1990 - Art.
L.348 : « Lorsque les autorités judiciaires estiment que l'état
mental d'une personne qui a bénéficié d'un non-lieu, d'une décision de
relaxe ou d'un acquittement en application des dispositions de l'article 64 du
code pénal [en usage jusqu’au 122-1 de 1992] pourrait compromettre l'ordre
public ou la sûreté des personnes, elles avisent immédiatement le préfet,
qui prend sans délai toute mesure utile, ainsi que la commission mentionnée à
l'article L.332-3. L'avis médical visé à l'article L.342 doit porter sur l'état
actuel du malade. ».
L’apparition
du mot « malade » en fin de paragraphe crée la surprise
puisque quelque lignes plus haut il était question de « l’état mental
de la personne estimé par les autorités judiciaires ».
Quant à l’article L.342, le voici :
Loi du 27 juin 1990 -. Art. L.342. : « A Paris, le préfet de police et, dans
les départements, les préfets prononcent par arrêté, au vu d'un certificat
médical circonstancié, l'hospitalisation d'office dans un établissement
mentionné à l'article L.331 des personnes dont les troubles mentaux
compromettent l'ordre public ou la sûreté des personnes ».
Il
ne parle pas de « malade ». Cet article indique seulement que
le préfet a vu le « certificat médical circonstancié », et que
sa décision est motivée par « des troubles mentaux compromettant
l’ordre public et la sûreté des personnes ». Nous avons déjà fait
remarquer que ce ne sont pas les troubles mentaux qui compromettent l’ordre
public, mais éventuellement des conséquences non contrôlées de ces troubles. Ce
n’est pas la même chose du tout. C’est ainsi que « de fil en aiguille »,
c’est la maladie supposée qui va être sanctionnée, bien inutilement, et non plus
le comportement malheureusement.
Il
y a là deux couples de distinctions à faire :
Þ La personne/la maladie : Le premier couple
de distinction à introduire est celui de la distinction entre la « personne »
et la « maladie ». Entre ces deux termes se situe le champ de
l’action avec ou non décision. Cette importante question n’est pas nouvelle.
Elle a été posée avant la naissance de la psychiatrie.
Þ Le moment de
l’action/l’avant et l’après l’action : Le second couple introduit la dimension
temporelle.
1 Il y lieu de faire la distinction entre le « moment
de l’action » et « celui du jugement ».
2 Il y a lieu aussi de faire la distinction entre ce
qui est un « état aigu » (par exemple « ivresse
toxique momentanée »), ou un « état chronique ».
Comme la personne peut avoir elle-même provoqué sa propre « ivresse
aiguë momentanée », volontairement ou non, il serait tout à fait
légitime – et profitable – de juger un acte « commis involontairement
au cours d’un état de démence volontairement provoquée ». (Cf. « Différences entre la
non-déjudiciarisation des délits et la judiciarisation des internements »).
1 Cette dimension aiguë – éventuellement réversible –
est une pierre d’achoppement pour certaines théorisations des psychoses
(« forclusion du nom du père »).
2 Cette dimension aiguë « provoquée » dénie
toute valeur à l’invocation du « moment de l’action » dans la
formulation du code pénal.
Il
faut donc considérer chaque étape:
1.
D’abord
considérer :
«… les personnes dont les comportements
compromettent l’ordre public ou la sûreté des personnes ».
Mais alors, ici la loi n’a plus rien à voir,
« à priori », avec une maladie mentale ou physique. Et les
« troubles du comportement » relèveraient alors, d’abord, de
plein droit, de la justice.
2.
Puis,
dans un second temps, établir une relation :
«… Si ces comportements sont des conséquences de
troubles mentaux et compromettent l’ordre public… »
Mais un tel énoncé, formulé dans « l’intemporel »,
à l’égal du « L.342 » recouvre en réalité des préoccupations
saisissables dans le « temporel », à deux moments différents,
l’un du passé et l’autre de l’avenir :
Ø « Les faits
passés » posent
les deux questions
Ø Celle de la relation de
causalité entre le mental et les faits et
Ø Celle de l’opportunité
d’une déjudiciarisation.
Ø « Les faits
futurs »
posent les question
Ø de la prévisibilité des
actes et
Ø de la responsabilisation
future.
Il
est douteux qu’affirmer de telles causalités passées, de significations bien
ésotériques, et prophétiser un avenir conséquent puissent relever encore de
l’activité humaine[4].
De la « cause
supposée » à la « conséquence affirmée ».
Autrement
dit le système est improductif faute d’avoir négligé la prise en compte du
déroulement des arbitrages,
Ø des juges
Ø autant que de la personne
impliquée[5],
entre
« une maladie supposée » et « un comportement »,
ou plus succinctement dit, le tort est de considérer une « cause
supposée » comme une « conséquence assurée ». Tout
repose sur les « présupposés » de relations restées « tacites »,
car nul, sans doute, ni ne saurait ni ne voudrait, les énoncer.
Il
nous est apparu dans notre pratique soignante que c’est l’entretien de cette
confusion, matérialisée par la « contrainte » (Cf. paragraphe
I), présentée comme tantôt thérapeutique, tantôt sécuritaire, sans être ni l’un
ni l’autre, sinon une « mise en attente indéfinie »,
qui fait régulièrement échouer les soins à la personne.
Comme
nous l’avons écrit en 1994 (in : « Habeas Corpus et système
psychiatrique français »),
toute la loi de 1990, qui a remplacé le mot « placement » par
l’expression « hospitalisation sous contrainte », semble à la
recherche d’un « vocabulaire» explicite introuvable, mais qui
serait pourtant exigible dans une pareille loi. Or, nulle part ne peut être
donné un sens au mot « maladie mentale ». De fait, tout ce
vocabulaire restera « sans signification » tant que la maladie
sera assimilée à une « puissance abstraite », « une
peur », un « danger en soi compromettant la sûreté… »,
etc. , c’est-à-dire tant que le domaine de son objet ne sera pas précisé.
La
question est dès l’abord méthodologique : l’objet de la loi doit-il être
appréhendé à partir
Ø de la médecine,
c’est-à-dire d’une science dont l’essence de l’objet est totalement étrangère à
nos lois ?
Ø ou de l’exécutif, c’est à
dire d’un domaine construit par nos lois ?
La
suite devrait impliquer que la responsabilité des décisions incombe à la
spécialité concernée, et que celle de la charge assumée incombe à qui l’a
proposée, préconisée ou imposée.
Finalement,
la laxité sémantique de la loi de 1990 est déroutante dans un texte de loi.
Sur
un plan purement formel, on pourrait peut-être soutenir que l’article 64 (1810)
n’existant plus, les articles de la loi de 1990 s’y référant seraient
caducs ! C’eût été vrai s’il ne s’était reproduit. Mais en pratique,
« l’article 122-1 » a ré-occupé spontanément les places
auparavant assignées à « l’article 64 », et l’on s’interroge
sur la portée d’une réforme qui, sans porter atteinte aux pratiques contestées,
aura peut-être ajouté à la confusion en important un vocabulaire inapproprié à
un texte de loi.
V. L’Abolition du « Second Système
Psychiatrique Français (1994– 1990) » |
La
loi de du 27 juin 1990 (introduisant
l’ordre préfectoral) et l’article 122-1 du code pénal de 1992-1994 (soustrayant
les faits à l’ordre judiciaire) forment le couple fonctionnel du « second
système psychiatrique français (1994– 1990) » qui détermine en ce
début de l’année 2007 le fonctionnement de base de toute la psychiatrie
française (publique et privée), et, partant, de l’expression de bien d’autres systèmes
et institutions.
La
loi du 27 juin 1990 avait été déclarée expérimentale et provisoire pour 5 ans.
Plus de 16 ans plus tard, elle n’a toujours fait l’objet d’aucune révision.
Gageons
qu’en guise de « compensation » de ce retard, et après une
longue parenthèse de confiscation administrative des décisions, dans notre
activité médicale, durant bientôt deux cents ans, plutôt que de le céder à une
troisième loi de « l’ordre préfectoral », dans le droit fil
des deux premières (loi de 1838, périmée, puis loi de 1990, actuelle), ces deux
textes (loi de « l’ordre préfectoral » de 1990, actuelle, et
article 122-1 du code pénal de 1994, actuel) seront promptement abolis, comme
il est proposé sur ce site, et comme il est bien possible que de plus en plus
parmi les intéressés et les travailleurs de la santé surtout, mais aussi
beaucoup d’autres le sollicitent.
C’est,
en effet, avant tout, le principe même de la conception de ce « double
système d’exception » qui n’est pas fonctionnel,
1.
« rendant inaccessible
aux jugements » une action « dite conséquente d’un dit trouble
mental au temps de l’action»,
2.
mais remettant en
revanche à la préfecture le pouvoir
Ø de « contraindre physiquement » la
personne, pour cette raison, comme si elle « assimilait la personne à
ladite maladie dite causale », et
Ø de décider arbitrairement de la forme de la
contrainte.
Ce
système est contraire
Ø à tous les principes
de justice publique et de liberté en matière de vie privée,
Ø aux nécessités
de
Ø la liberté de la demande de soins,
Ø l’engagement responsable de la réponse professionnelle
des soignants à cette demande, en vue de soins réussis.
VI. Droit, maladie, justice. |
I.
Intentionnalités de la
personne et du Législateur .
Nous avons évité soigneusement de supputer sur les
intentionnalités de la personne jugée, aussi bien que sur celles du
Législateur, sinon, chez ce dernier, pour essayer d’en expliquer la démarche,
mais en ne tirant les conclusions de notre étude qu’en partant du texte de la
loi.
Un même fait peut traduire quantité d’intentions
différentes, et une même intention peut être à l’origine de quantité de faits
différents.
II.
L’application « du
droit ».
De ce fait, plusieurs intentions opposées pouvaient
expliquer l’article 64 du premier code pénal. Cependant l’application du texte
demeure univoque. Bien que La « justice » ne soit pas le
droit, ni l’application des droits, on ne peut pas lire un texte à l’envers au
non de son intentionnalité supposée.
Les estimations des intentions, comme les suppositions
sur les causes, représentent des parts importantes de l’activité des tribunaux
et des cabinets de psychiatres, mais sont ici « l’envers du droit [6]»,
puisqu’il n’y a plus de « droiture » dans le lien qui mènerait
« des faits » à leur appréciation par le « tribunal ».
Cet envers est toujours incertain car il n’est pas donné à l’homme de pouvoir
sonder les cœurs en toute certitude.
Dans un « Etat de droit » proclamé,
en fait, même, de « droits », de sources variées, de droits
écrits, l’appréciation difficile de comportements inhabituels, inexplicables et
incompris, est précisément la situation même dans laquelle le droit peut avoir
quelque utilité, et ne doit pas être rejeté[7].
Il est d’autant plus important de ne pas lui soustraire
la personne à ce moment là.
L’envers est ici le complément d’un « endroit »
qu’il ne remplace pas.
III.
La justice sans
« droit » et sans « maladie ».
On peut dire la même chose des « rumeurs »,
voire de ladite « notoriété publique ».
Mais il y a aussi un au-delà « du droit »,
car il reste que le « droit des hommes », dont les
codifications ne prévoient jamais toutes les éventualités, a toujours ses
limites. Il reste alors à la justice à juger. Mais il n’y a aucune raison de
faire appel à la psychiatrie du fait des défaillances du droit, sous prétexte
que le « droit », là, ne peut rien ou n’a rien prévu.
La « psychiatrie médecine de soins »
ne peut venir qu’après la justice.
IV.
La standardisation.
Peut-être, une certaine aversion grandissante, au profit
d’autres intérêts, pour une justice certes difficile, mais nécessaire,
mènerait-elle finalement aux excès de deux extrêmes : D’un côté, celui de
l’extrême d’une « standardisation », dans, ou avec, ou par le
droit, et de l’autre côté, celui de l’extrême du « rejet »
dans un « univers morbide ». Dans le premier cas la justice
pourrait être conçue comme un simple enregistrement, et dans le second, comme
une totale démission.
Ni dans l’un ni dans l’autre cas il ne serait alors
plus besoin de juger. Ces deux extrêmes résulteraient en fait de la même
attitude, le culte devenu « rituel », d’une « raison »
limitée au seul entendement, nécessairement étroit, du ou de ses énonciateurs,
le reste devenant alors « égarement ».
Quoiqu’il en soit, la « relation soignante »
devient illusoire, quand le poids écrasant du dogmatisme triomphant qui en
tient lieu peut à tout moment être imposé par un exécutif dont les desseins et
les moyens sont, par définition, différents, en subjuguant légalement d’un même
paraphe « la relation, le patient et les soignants » Cf. la
justice demain ▬.
Fin du texte
______
Annexes
Annexe I.
Tableau montrant les séquences actuelles
des ordonnances :
1.
de justice pénale
commune,
2.
et de
dé-judiciarisation menant à la psychiatrie sous contrainte :
Ø
par application
du Code pénal de 1994
(122-1) (C.3.b)
Ø
suivie de l’application de la Loi de 1990 (D.3) liée fonctionnellement à l’article 122-1
Séquences de
la justice pénale commune : A=>
B=> C =>D (Excepté C.3b et D.3) ↓ |
Séquences de
la psychiatrie sous contrainte
après « 122-1 »: D.3 E = Etablissement, lieu
de l’exécution ↓ |
|||||
A. Instruction ↓ |
↓ C.3.Non-lieu
(à tout moment) |
La décision préfectorale
(D) ordonne une « exécution » (E) sans jugement ni
condamnation. L’instruction
judiciaire peut même être arrêtée |
||||
B. Jugement ↓ |
||||||
↓ C.1. Condamnation ↓ |
↓C.2.Innocentement ↓ relaxe |
↓ C.3.a. « Non-lieu
ordinaire » ↓ relaxe |
↓ C.3.b. « Non-lieu
spécial » → ↓ « 122-1 » Dé-judiciari-sation et saisie de l’exécutif. ♥ Souhait : Suppression
de ce régime d’exception au droit et retour à la justice ordinaire: ← |
D.3.
La préfecture → 1..Reçoit un dossier judiciaire 2. Ordonne par Ordonnances triplement
injonctives : → E1:au directeur d’hôpital → E2 au patient → E3 au médecin 3. Sera
tenue informée de l’état dudit patient : a) ← administrativement par le directeur d’hopital et b) ← et
« médico-administrativement par
le médecin-psychiatre» |
E.1 :
L’hopital → Le
directeur d’hôpital doit retenir l’intéressé ← Envoi des Rapports administratifs |
|
↓ D.1. Exécution de la condamnation. |
↓ D.2. Non-exécution ou suspension de la condamnation pour une quelconque raison. |
E.2. → Le
supposé patient est hospitalisé d’office ← Ne peut adresser
d’expression vers la préfecture, laquelle a pris la mesure. ≠ ← Mais
peut théoriquement adresser une réclamation « a posteriori »
au tribunal et
s’adresser au médecin pressenti comme
« interlocuteur naturel » ↓ |
||||
↓ Juge
d’application des peines |
E.3. ↓ Le médecin
a charge de « soigner » l’intéressé ← et de
transmettre des certificats « médico-administratifs » à la
préfecture |
|||||
Légende :
En vert : |
Domaine juridique |
En Bleu : |
Domaine médical |
En jaune : |
Domaine administratif |
En mauve : |
Domaine du « non-droit
absolu » |
Hybride : |
Domaine dit « Médico-administratif » |
Remarques :
1.
L’invocation d’une
nature dite « médico-administrative » des certificats est
traditionnelle. Elle est donc reprise ici, mais qu’est-ce à dire ? On ne
peut pas mélanger le « médical » et « l’administratif » !
2.
Comme on ne peut pas
tenir un discours médical à l’administration, en réalité, tout se résume donc à
une correspondance qui a en général la régularité du calendrier consistant,
pour le médecin, à dire s’il considère la contrainte comme appropriée ou non,
sans trop dire appropriée à quoi… Comment répondre, en effet, à une question
tacitement « chimérique » ? Toute véritable réponse à la
question est donc impossible. De toutes façons, comme on sait, la préfecture
n’est absolument pas obligée de tenir compte de l’avis du médecin.
3.
La
flèche du « non lieu spécial », que nous appelons aussi « dé judiciarisation »,
indique à la fois la « porte dérobée » du système judiciaire
pénal, et la « porte d’entrée » qui mène à tout le système
psychiatrique de contrainte. Peu importe ici les noms qui peuvent changer. L’important
reste l’opération concrète.
4.
♥ Souhait : Nous souhaiterions de la
législation prochaine qu’elle retourne le sens de la flèche du déroulement des
procédures de 180° : Un retour à une justice normale permettrait de
considérer sans les fusionner (« amalgamer ») les affaires concernant
l’ordre public d’une part, et les affaires de santé mentale d’autre part. Ainsi
une opération n’exclurait plus l’autre, chacune étant autonome, dans le respect
des compétences et des attributions normales des intervenants. Chacune des
opérations pourrait suffire ; ou bien les deux pourraient aussi prendre
place, simultanément ou d’une manière désynchronisée quand des préalables
propres à chacune d’elle l’exigent. Faire revenir les soins à la santé mentale
dans le domaine de la médecine, permettrait en outre, à l’intérieur de
l’ensemble du domaine médical, de passer d’une spécialité à une autre ou de les
faire coopérer, chose actuellement rendue presque impossible par le poids des
exigences policières de la préfecture – situation qui est responsable
d’ailleurs de dramatiques erreurs de diagnostic
5.
La loi de 1990
prévoit également d’autres contraintes sans jugement :
Ø
« L’Hospitalisation
d’Office », à la demande de la préfecture sans « 122-1 »
Ø
et « L’Hospitalisation
à le demande d’un Tiers » (HdT), qui ne requiert que les certificats
de personnes habilitées.
6.
Les
dossiers des différentes « hospitalisations sous contrainte », des « permissions » qui nécessitent
son accord, des informations de « l’administration hospitalière »,
des « certificats médicaux » (Cf. sur le secret médical ici: clic),
sont rassemblés à la préfecture, qui peut ainsi suivre dans le temps
l’évolution des personnes contrôlées.
7.
L’exploitation de
ces « données d’archives » sur la très longue durée, tant dans
les dimensions individuelles que dans les dimensions collectives, permettrait
sans doute d’en dégager d’intéressantes constatations.
8.
Le
supposé patient (E.2.) est ici la
seule personne dont il n’est pas prévu de recueillir d’expression légale, hors
ses réclamations éventuelles « a posteriori », dont une saisie
possible du tribunal. Il n’est prévu d’autre « champ naturel »
à son expression que celui de la « clinique médicale » (Cf.
note infra : la « pseudo médicalisation » clic ).
9.
Ce dernier paradoxe
se révèlera d’autant plus manifeste que le nombre de personnes ainsi contrôlées
continuera d’augmenter et que les troubles incriminés s’écarteront des figures
traditionnelles de l’aliénation évidente.
_________________________________________________________________________________
Le
« non-lieu » de « l’article 122-1 du code pénal de
1992-1994 » tire son originalité de sa différentiation par rapport
« au non-lieu ordinaire ».
Légalement,
il est, et est appelé « non-lieu pénal ».
Les
journalistes l’appellent souvent « non-lieu psychiatrique », ce
qu’il n’est pas, et ce qui n’a même aucun sens juridique.
Il
serait, pour le qualifier, plus juste de l’appeler « non-lieu transmis
à l’exécutif » :
Car le fait important est que, bien que moulé sur le
feu « article 64 », lequel considérait la cause invoquée, soit
ladite « démence au temps de l’action », « l’article
122-1 », lui, doit la forme contemporaine de cette « quasi-reconduction »,
et son utilisation, davantage aux perspectives qu’il ouvre « ouvertement »
qu’aux causalités supputées qu’il invoque.
Il
transmet à l’exécutif ce que le « non-lieu ordinaire » ne lui
permet pas de transmettre, et que l’usage de « l’article 64 »
ne faisait que « laisser faire » officieusement.
Le
vocabulaire de la loi de 1990, fortement médicalisé, invoquant « l’hospitalisation »
ne mentionne pas le mot « psychiatrique » : Nous l’avons
analysé en d’autres pages, indiquant combien « l’hospitalisation sous
contrainte » est aussi bien représentative d’une « contrainte
par hospitalisation », d’acception fort large, l’hospitalisation,
selon une telle lecture, ne devenant plus la fin recherchée pour soigner, mais
un moyen pour contraindre.
En
réalité, le fait de ne pas prononcer le mot « psychiatrique »,
soit pour ne pas en inquiéter l’usager, soit plus radicalement parce que nul ne
saurait le définir, permet à l’infini de sanctionner le « pressenti »,
peut être à l’opposé de ce qui aurait été vraiment souhaité par le Législateur,
en certaines lignes encourageantes, lorsqu’il évoque le simple « trouble
», la demande spontanée ou le respect des « droits de la personne ».
Mais
à l’inverse, quel « trouble psychologique » pressenti comme
banal, mineur, léger, justifierait-il vraiment les moyens considérables
déployés ou envisagés ici ?
Le
fait est qu’un tel langage, pour tout le « prévenant » que
peuvent véhiculer ses évocations émoussées, n’a de valeur ni juridique, ni
scientifique : En langage clair, une distance se considère en « millimètres »
ou en « kilomètres », mais non en « grande »
et en « petite ».
La
loi de 1990 aurait-elle considéré comme « entendu » que
« son domaine n’était pas de ce monde » ? [8]
(voir aussi le mot « autel » in : « page
vocabulaire » clic .)
Le
fait est que, finalement, le domaine comme ses embarras passeront alors, via
« l’article 122-1 », du prétoire aux bons soins d’un exécutif
à vocation par nature étrangère aux considérations des thérapeutes spécialisés.
Le
fait de vouloir « donner suite », sans « relaxer »,
ni « juger » la personne, est à l’origine de cette conception
d’un « passage par le 122-1 » lequel permet, via « l’exécutif »,
en application de cette loi de 1990, « l’enfermement » de la
personne et d’autres modalités de « contraintes » :
Comment
en effet, par quelle mécanique juridique, pourrait-on sanctionner l’absence de
« culpabilité » [9] ?
On
comprend alors en quoi « l’article 122-1 du code pénal de
1992-1994 » résulte de la « loi hospitalière de 1990 », préalablement
votée, afin d’en faciliter la mise en place, alors que la « loi de 1838
sur les placements en asiles d’aliénés », elle, résultait de « l’article
64 du code pénal de 1810 », qui la précédait, pour en gérer les
conséquences.
Au total :
Jadis, produit d’une
lente élaboration, était une justice, dite d’essence divine, de même qu’étaient
subordonnés à Dieu tous les ordres de ce monde, y compris la médecine et les
soins aux malheureux aliénés.
Les révolutionnaires ont
aboli cette conception et la justice ne tirait plus sa légitimité que de la
souveraineté populaire, pour tous, et par tous.
Le nouveau Législateur a
alors chargé la justice, en 1810, puis en 1838, d’appliquer les nouveaux textes
d’un droit, dont les aliénistes ne recueillaient officiellement, au titre de
« placement », que le « non jugeable ».
En ces seuls termes était
posée, aussi, comme allant d’évidence, la question des soins.
On
voit que la construction subsume deux catégories différentes,
Ø celle de la hiérarchie des ordres : « ordre
judiciaire » et «ordre psychiatrique »,
Ø et celle des « lieux de soins »
et du réputé « malade », et, parfois, « incurable »,
mêlés, sans le moindre intérêt porté à la « demande des
personnes » les plus directement concernées (« soignants ou
soignés »).
La psychiatrie a été
séparée officiellement de la « neurologie » en 1970. Le fait
est significatif car la science ainsi crée peut être désormais conçue
intégralement comme détachable, ou détachée, « à 100% » de
toute référence « somatique » et de toute « matière
tangible ».
Si l’on admet que cette
dite science :
1. ne doive relever d’aucune
Ø « transcendance particulière » lui
conférant une autonomie propre,
Ø d’aucun cadre reconnu par un « droit
judiciaire » lui conférant un champ et une déontologie propres et
différenciés,
Ø d’aucune « obédience» savante délimitant
les attributions d’une pratique (elle échappe sur des « points
essentiels » à la déontologie médicale commune),
2. mais doive
dépendre de « l’exécutif » directement, pour répondre à la
seule injonction « d’assurer l’ordre public et la sécurité des
personne »,
3. et que la question « des soins »
n’ait pas à être posée prioritairement, cet ordre ne mérite aucune
révision :
Tout
ceci représente bien, en effet, le « socle traditionnel » dont
sont nées les bases du fonctionnement de la psychiatrie française, dont
l’exigible se limitait alors à recueillir ceux « que la justice avait
rejeté et que la préfecture estimait devoir placer »,
toute quête de « guérison », en cas de « maladie »,
terme non retenu dans les textes, étant en quelque sorte un surcroît, auquel
l’organisation du système ne reconnaissait aucune priorité.
Mais, aujourd’hui, de
quelles nouvelles croyances en de nouvelles valeurs, les nouvelles prééminences
de la psychiatrie que nous avons soulignées, sont-elle annonciateur? Dans cette
dialectique confuse, il est bien possible qu’une attente immense dans les
bienfaits de la médecine, après deux siècles de perplexité religieuse et
l’apparition d’un nouvel art de vivre, ait grandement supplanté l’attente en
des bienfaits célestes.[10]
Mais, même si la santé recouvrée grâce aux soins,
représente une part importante de ces transcendances nouvelles, comment peut-on
se laisser abuser en croyant que celle-ci s’obtient par de simples décrets, que
par décrets aussi seraient stigmatisés les termes d’une supposée maladie, et
que finalement ces voies d’accès décrétées vers une « santé
programmée » pussent se passer de toute justice[11] ?
On peut
représenter ces valeurs que tout le monde connaît sur deux tableaux pour tenter
de mettre en parallèles les « chemins du bonheur » aux
temps de l’Ancien Régime et dans les Temps Modernes :
Références
principales : Principe
« moral » directeur |
|
Ciel, champ de la Justice
de « Dieu ». ® |
Champ du droit céleste : ® Paradis ou ® Enfer |
|
Ci-dessous : La déchristianisation amena la
dépossession des espérances projetées dans « l’au-delà » et
dans l’avenir. Dans ces conditions, seule la
vie terrestre importe, dans un insaisissable présent et un futur de toutes
façons borné. Dans l’espoir d prolonger un
peu la présente vie terrestre, la santé a pris une importance inconnue
auparavant. L’Etat a cherché à s’emparer de
cette valeur et à en gérer l’exécution, et même jusqu’à avoir une emprise sur
une justice dont, désormais le champ d’intervention est limité à la vie
terrestre. La mort
n’est plus une porte d’entrée vers une autre vie, mais une fin ultime
d’autant plus redoutée que les biens terrestres sont valorisés. |
||
Conséquence
dans la gestion sociale au quotidien |
La
vie terrestre
prépare
à la vie future. La
justice terestre
est déléguée par le ciel. ® |
Eu
égard au bonheur futur, la santé est peu différente de maladie : L’une
et l’autre sont des contingences
secondaires
|
↔ |
La
gestion de la vie terrestre
n’appartient qu’à l’homme. Tiens,
et les animaux ? A
la médecine revient de faire durer longtemps la vie saine |
L’Exécutif aurait voulu reprendre à son compte ce
qui étaient les attributs divins : « Omiprésence, Omnipotence, etc. » Et sa tendace est de contrôler tant la
Justice que la médecine, etc. Comme un tel fonctionnement (quasi-incestueux)
n’est pas fonctionnel, il est important de surveiller étroitement le respect
de la séparation des pouvoirs. Nous sommes en cette recommandation
fortement redevable des éminents travaux de Montesquieu. |
Champ de la santé : La
santé est un bien
suprême devenu t un droit. Elle doit pouvoir
arriver par le droit. La maladie est
une
injustice majeure que le droit doit réparer. |
|
Ci-dessus : Dans la chrétienté, la morale de
la vie terrestre était commandée par le futur céleste attendu, où le jugement
céleste devait décider de la félicité éternelle ou de la damnation éternelle. La santé ou la maladie
n’étaient pas des valeurs essentielles, mais seulement éphémères. |
|
La Justice valorise largement la médecine, puisque celle-ci est devenue un
instrument essentiel dans la quête du bonheur. . C’est pourquoi
elle la contrôle. La médecine a le devoir de garantir la Santé de tous. La paix sociale est comprise comme une « santé
sociale ». |
L’opposé
de la santé est la maladie, la démence ou l’incurabilité ne méritent plus l’aide
secourable de la justice. Le fou relève de la psychiatrie, et, comme tel est exclu de la société des
bien-portants bien-heureux. Opposé
au champ de la justice : Le non
droit découlant du 122-1, etc. Cf. Débats sur
l’euthanasie, inconcevables en chrétienté. |
||||
|
|||||||
Ci-dessus, différentes représentations des « chemins
du bonheur » en chrétienté et dans l’athéisme (Mes difficultés à le
dessiner invitent à un effort d’approfondissement et de questionnements de la
part du lecteur. J) |
.
Remarques :
1. L’inversion des priorités sociales portée par un
nouveau système idéologique qui renverse les valeurs apparaît sur un tel
tableau :
La ligne du bas du premier tableau devient celle du haut du
second tableau, car d’une fonction instrumentale, la vie sur la
terre passe à l’état d’idéal.
Naturellement,
les même éléments concrets restent à la même place et correspondent à la bande
horizontale encadrée en rouge.
Mais
leur fonction change de sens : Dans les deux colonnes, nous avons
placé : en ligne du haut les idéaux et en ligne du bas les comportements
sociaux qui en découlent.
La
« Santé » peu valorisée au Moyen Age, devient un
« Idéal » : Le « sain »
remplace le « saint » et la « mal-adie »
(<= « male-habitus ») remplace le « mal »,
pouvant aller jusqu’à la dévalorisation absolue. Les similitudes phonétiques ne
sont certainement pas là par hasard.
A
l’inverse, la justice passe à l’état d’instrument incomplet et faillible. S’il
y a bien correspondance, la « nature » des concepts[12]
change.
2. Dans ce passage de Dieu à l’Homme en rappelant
l’étymologie latine, (Terre = Humus => Homme), on saisira la transparence
des sources du mouvement.
3. Dans le premier tableau le bonheur était escompté au
paradis grâce à la justice
(d ‘essence divine), principe moral premier. Aux Temps Modernes, la
justice prend davantage une fonction « d’instrument faillible »
que « d’instrument idéal infaillible », gage de l’Absolu.
4. Dans le second le bonheur est escompté sur terre grâce
à la santé: Le droit à la santé devient
un moyen essentiel d’accès au bonheur, et est pour cela considéré comme un
« droit moral » : Dans beaucoup de domaines, la
connotation « morale » recourt souvent à des images sanitaires.
5.
Notons l’importance
de plus en plus grande de l’exécutif :
Sa fonction et le nombre des exécutants étaient infiniment plus réduits il y a
quelques siècles.
6.
A partir d’une telle
mise en place, sommaire mais fondamentale, on pourrait fournir dans chaque case
beaucoup de détails, qui développeraient cette esquisse.
______________________________________________
On comprend alors comment
une quintessence abstraite de la gestion sociale en soit arrivée à réduire les
ordres préexistants à une équivalence facile entre justice et médecine, sur la
base d’une figure de « sophisme » :
Ø A partir de la formule
algébrique : 0 x = 0 y , on tirerait à tort que x = y.
Ø De la même façon, on tire une fallacieuse équivalence
entre « médecine » et « justice »,
ici, « démence » et « irresponsabilité »,
à partir du postulat - démissionnaire qu’une « impuissance du médecin
dans le domaine médical » serait équivalente à une « impuissance
du juge dans le domaine juridique ».
Mais
ce sont là des « a priori », condamnant d’avance toute
réflexion et tout progrès, dans l’un et l’autre domaine, qui peuvent se
compléter, que l’on peut réunir, mais non assimiler.
L’équilibre
est souvent évoqué par l’image de la balance : Chaque pose de chaque poids
sur un plateau doit faire remonter l’autre plateau. Mais si les poids sont trop
lourds, toute la balance est écrasée.
Il
ne faut pas en déduire une quelconque égalité ! Il faut construire une
balance plus solide.
Les
réformes urgentes que nous appelons trouvent leur impact figuré dans la
dernière case du second tableau, qui pourrait alors demeurer case vide :
Cette
case, des droits confisqués, ne correspondrait plus qu’à la représentation de
la mort civile, et dès lors, il n’appartiendrait plus à des institutions
laïques d’en définir le contenu.
Ø La suppression du « 122-1 » ferait
disparaître ipso facto ses impacts médicaux et juridique :
opposé
au champ de la santé : « démence(122-1)
et/ou incurabilité » |
|
opposé
au champ de la justice : Non droit (122-1)
«irresponsabilité, ou état inconcevable » |
Ø Il ne resterait plus alors, en psychiatrie, qu’à
abolir les placements préfectoraux.
Ø Le troisième point, « *Débats sur l’euthanasie,
inconcevables en chrétienté », relève de considérations éthiques de
« même nature » qu’était le débat sur « l’abolition de
la peine de mort », conformément aux exigences du respect des « droits
de l’homme »
On
sait que ce débat n’aurait pas pu obtenir « démocratiquement »
son admirable dénouement. Le débat sur l’euthanasie se présente comme de même
nature, mais inverse, et donc ne pourrait pas faire usage des mêmes arguments.
Nous ne l’avons que mentionné, bien qu’il demeure un débat important, et placé
en ce lieu figuratif des pratiques devenues « exclues » -
légalement - des obédiences juridiques ou sanitaires à laquelle son issue
fatale mènerait de facto. Cette position dans la géométrie du tableau,
comme d’autres caractéristiques, permettent d’établir d’intéressants
rapprochements. Mais cette « exclusion », aujourd’hui, comme on sait,
n’existe pas, puisque l’euthanasie n’a aucune place reconnue, ni en médecine,
ni en droit français.
Aujourd’hui ce sont nos
« catégories signifiantes » et les modes et méthodes
d’appréhensions de celles-ci, qu’il
faut mettre à jour, afin de pouvoir comprendre et saisir nos institutions, les
estimer avec des appareils de mesure appropriés, et enfin les réorganiser.
Les
« changements de nature » dans les cases ci-dessus en sont un
exemple. Et la psychiatrie, particulièrement, du fait de ses différents
héritages est un tel « lieu géométrique » de confusions que
nul ne saurait en définir le champ, les limites, ou encore l’objet.
Pour
notre contribution à tout projet possible Cf. /page web 10.htm de ce
site : « La
cohérence de nos institutions est une condition de leur « viabilité »,
de leur « efficience », de la « tranquillité
des esprits », et de
l’espoir en quelque succès « des
soins » qu’on leur veut
bien dispenser, quand on en sait la fragilité. »
Si l’on veut préserver les soins … quand l’outil ne convient …
c’est l’outil qu’il faut changer !
Annexe II.
Tableau des conséquences d’autres différentes « procédures
juridiques » de « déjudiciarisation » imaginables.
Il
faut lire le tableau ligne par ligne et de gauche à droite.
C’est
plus un texte qu’un tableau matriciel.
Les
colonnes correspondent seulement à souligner les questions qui reviennent
cycliquement et pour chacune d’elle deux réponses sont possibles.
Cas 1 Situation
actuelle (depuis 1838) : Seul le
paramètre de démence « au temps des
faits » est retenu., même si la personne est parfaitement
capable d’être entendue par les juges.
|
||||
Temps des faits |
Temps du
jugement |
Résultat
|
||
Démence |
Non
démence
|
Démence |
Non
démence
|
|
|
||||
Démence au temps des faits |
|
Avec démence au temps du jugement |
|
1 Actuellement toujours
irrecevable juridiquement |
|
Sans démence au temps du jugement |
|||
|
||||
|
Non démence au temps des faits |
Avec démence au temps du jugement |
|
2 A
priori, aucune loi ne s’oppose à sa recevabilité juridique |
|
Sans démence au temps du jugement |
|||
|
||||
Cas
2 : Hypothèse :
Si
seul le paramètre de démence « au
temps du jugement » était le seul retenu, on
pourrait expliquer pourquoi une personne ne peut pas être entendue par les
juges.
Pourtant
les cas de véritable inaudibilité sont rares, et déjà les juges sont habitués
à recevoir et dialoguer avec des supposés malades mentaux, comme aussi avec
n’importe quel malade ordinaire
L’exécution
d’une peine revient de toutes façons au juge d’application des peines.
Saine
au temps du jugement, la personne serait dans tous les cas audible et
pourrait expliquer à ses juges ce qui s’est passé selon lui au temps des
faits.
Si
le paramètre « démence au temps du jugement » était le seul
retenu, et « sans être absolvant », mais seulement « suspensif »,
on pourrait en arguer pour « différer un jugement ».
|
||||
Temps des faits |
Temps du jugement |
Résultat
|
||
Démence |
Non
démence
|
Démence |
Non
démence
|
|
|
||||
Démence au temps des faits |
|
Avec démence au
temps du jugement |
|
1 Serait ajournable, mais l’ajournement révisible |
|
Sans démence au temps du jugement |
2 Serait recevable |
||
|
||||
|
Non démence au temps des faits |
Avec démence au temps du jugement |
|
1 Serait ajournable, mais l’ajournement révisible |
|
Sans démence au temps du jugement |
2 Actuellement recevable (C’est le cas « habituel » implicite) |
||
|
||||
Cas
3 : C’est la forme
que nous préconisons :
Aucune loi spécifique des prétendues « aliénations
mentales ».
Aucune
« irrecevabilité « a priori » et systématique » dans la loi pour cause « d’aliénation mentale .
Car le mot « folie » n’est pas un terme juridique [13],
sinon, il faudrait le définir. Enfin,
un ajournement pour une quelconque raison, médicale ou non, existe déjà dans
notre droit, et n’a rien d’exceptionnel.
|
NB : Le mot « démence »,
repris ici parce qu’il est employé continuellement dans la loi depuis 1810,
même si il est présenté, depuis 1990, sous d’autres vocables équivalents, est
toujours à comprendre dans notre étude au sens de « prétendue démence ».
Fin
des Annexes
Epilogue.
S |
elon
« Epicure » – lui le dernier à s’en remettre à la justice d’un
dieu ! – « Si tous les homme étaient sages, ils n’auraient
point besoin de lois…, mais comme ils ne le sont point, ils ont besoin de lois ! »
Notre
Législateur a quelque peu inversé les propos en excluant le fou de nos lois
pour les sages !
Mais
qui est fou ?
Celui-là
qu’il exclut !
Tout
étudiant devant rédiger une thèse mentionnant les repérages, tout statisticien,
tout épidémiologue, se trouve confronté, dès le début de son travail, à une
question méthodologique qu’il ne résoudra jamais : « Qu’est-ce
qu’un fou, et comment les dénombrer ? ».
On
explique alors en quoi la question ne tient pas.
Mais,
pour la loi, nulle définition. L’exclusion de la fin tiendra lieu de ce qui la
prétend justifier : « Fou, celui qu’on ne jugera pas » !
Dans
ces conditions, si l’instruction a été arrêtée, il arrive que soit présentée au
médecin une personne, au nom de supposés « troubles mentaux »,
dont nul, pas même elle, ne saurait dire ce qu’elle a fait ! (Cf. ▬ ).
Cette
situation s’explique par l’assemblage inopiné d’éléments historiques ayant
évolué séparément : Les préfectures ont remplacé d’anciennes formations
dont on a retiré la fonction judiciaire. Les allégations médicales ont
supplanté les allégations religieuses. Les anciens lieux de détention
ressortissent aujourd’hui à une « ambition soignante »
étendue, physique et « morale »[14],
individuelle et collective. La privation de liberté sans jugement n’est
pourtant pas constitutionnelle.
Telle
est l’équivoque administrative du « système psychiatrique français » :
En réalité, à l’opposé de ce qui est imposé, ni la reconnaissance d’une
maladie, ni les soins, ne devraient relever de décrets juridiques ou
administratifs, mais de la seule relation médicale. Et, à l’inverse, la
dimension sociale, elle, a besoin de la reconnaissance juridique des actes,
mais celle-ci est retirée.
On
voudrait faire comprendre ici combien le respect des formes et de la séparation
des fonctions serait le meilleur gage de la qualité des soins, de la justice
des décisions, et de l’apaisement social.
Fin de la page web
[1] Voici les
termes exacts du 122-1 : « N'est pas pénalement responsable
la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou
neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou
neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses
actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette
circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime ».
[2] Loi du 27
juin 1990 - Art. L.348 : voir paragraphe suivant.
[3] Nous
opposons maintenant systématiquement la « psychiatrie dogmatique et/ou
administrative » à la « psychiatrie médecine de soins »,
car l’introduction de cette distinction nous paraît la meilleure façon
d’analyser la situation actuelle et de proposer un avenir cohérent.
[4] On peut
rappeler ici que le « doute » a un statut en droit français et
joue en faveur du suspect. L’incapacité du tribunal à connaître une causalité
n’est pas une raison suffisante pour instaurer un régime d’exception, même au
nom du principe de précaution. La privation de liberté sans régime d’exception
existe, dans la « garde à vue » ou dans « l’incarcération
préventive ». Pourquoi déclarer « psychiatrie » ce
qui est conçu comme une « longue garde à vue sans jugement et illimitée »,
préalablement à tous engagements dans les soins ?
[5] Cet
arbitrage par la personne de ses actes n’a rien à voir ici avec quelque débat sur
le « libre arbitre » ou la « prédestination » !
Il est à prendre en compte dans tous les cas, et peu importe aussi qu’il soit
« imaginé » comme une « délibération mentale »
ou un « rouage mécanique ».
Ce qui importe est que la justice établisse la matérialité
des actes, les situe parmi les actes recommandés ou blâmables, puis qu’elle
dise si l’individu est l’auteur des actes. La justice aura alors rempli sa
fonction sociale en situant l’individu dans le groupe et le monde. Le jeu des
récompenses et des châtiments, des circonstances atténuantes de toutes sortes,
des réparations, pourront alors se dérouler sans faire appel à un statut
d’exclusion. Enfin, le droit à une maladie non porteuse de faute une fois
reconnu, la dispense de soins à une personne reconnue et demandeuse pourra
commencer.
[6] On notera
qu’ici le mot « droit » est pris au sens « générique »,
ce qui est aussi le cas dans l’expression « Etat de droit ».
Il ne faudrait pas se laisser abuser par le genre singulier du mot droit, car
en réalité, même dans la seule France, il y a plusieurs droits, et la France
est un « Etat de droits ». Pour rappel, « les droits
de l’homme » et les « droits de la démocratie »
n’arrivent pas toujours aux mêmes conclusions.
[7] Dans un
sens péjoratif, comme il en advient souvent avec le temps du vocabulaire
« savant » de la psychiatrie, le « commun »
nomme volontiers « paranoïaque » ou « parano »
celui qui s’entête à réclamer du droit.
Accompagnant le retour du terme dans le domaine « spécialisé »
qui l’a fait naître, ce sens malheureux peut, par un effet de la lassitude
d’une routine hospitalière quotidienne et répétitive qui n’aboutit pas, être
alors appliqué bien à tort au malheureux « supposé patient »
qui réclame et en appelle au droit. (Cf. « page vocabulaire – 2-4 » : ▬ ; et « la chose dont
on parle » : ▬)
[8] On pense
ici, bien sûr, aux récits et aux symboles sacrificiels de l’Antiquité, puis du
christianisme, sans lequel on ne peut comprendre l’installation de la
psychiatrie en France. Elle occupe, progressivement, et sans doute avec
d’autres espérances, et, de ce fait, en posant de nouveaux problèmes, un espace
que le christianisme lui a délaissé ou qu’elle lui a ravi, comme on le montre
en d’autres pages de ce site.
Comme il est répété d’Antigone à Jésus, il existe une
justice qui est au dessus de nos lois, pour Antigone immémoriale et que l’on
connaît parce qu’on la sent, pour Jésus d’essence divine, et pour eux, au nom
de laquelle il peut être un devoir de mourir.
Comment ne pas se souvenir ici des dialogues entre Antigone
et Créon, entre Jésus et Pilate, et ne pas retrouver la symbolique dans ce qui
se livre et se délivre ici, en celui qui est « livré » par un
monde qui ne le comprend pas ?
Ainsi, insidieusement, le quiproquo
du symbole éternel serait-il à nouveau mis en scène.
Les « hôpitaux spécialisés » en
France, ne l’oublions pas, sont destinés à y retenir « qui »
n’est tenu pour juridiquement responsable d’aucune faute.
Dans ces conditions, en deçà même de toute « médecine »
annoncée comme celle « de l’âme », à quelle type de fonction, sinon
religieuse dans sa fonction la plus générale d’équilibration sociale, pourrait
bien répondre le choix d’un lieu où l’on serait tenté de voir rejouée, en
sollicitations, prières ou conjurations, jusqu’à la fonction de « l’autel » (Voir
vocabulaire : « autel » clic .)?
Une remarque approchée concernerait
aussi l’usage de la « psychanalyse », en laquelle on peut voir de nombreuses et
étroites correspondances avec le « christianisme », pour la
place qu’elle a prise, pour la fonction attendue de ses approches et les cibles
théoriques de ses repérages.
Mais le message est loin d’être le même.
Au centre de la théorie freudienne, le « complexe
d’Œdipe » entretient les rapports les plus étroits avec la symbolique
du « péché originel » de la liturgie chrétienne :
Mettre en cause « la loi du père », voire,
plus radicalement, ses « prérogatives » ou son « existence »,
qu’il soit « dieu » ou « homme », reste la
« faute suprême ». (Cf. La symbolique de la « faute
adamique » dans « la Genèse »)
Mais les « différents traitement culturels »
des mêmes éléments sont intéressants à souligner :
Là où le christianisme, dont le message n’est plus celui de
la Torah, avait savamment tiré « rédemption » de la « faute
adamique », la psychanalyse, comme d’ailleurs encore Sophocle en Grèce
pré-chrétienne, reflète le pessimisme du « matérialisme oriental »
(Cf. la Mésopotamie et l’Egypte in « La conversion de la Grèce »
▬).
Qu’on mesure alors tout ce qui sépare la « Felix
culpa » » de la liturgie chrétienne, rédemptrice
pour « l’humanité », de la « castration
psychanalytique », structurante pour « chacun »!
L’une est espérance universelle de béatitude, l’autre est
simple condition d’intégration personnelle.
Pourra-t-on un jour conjuguer au passé les termes du
fantasme de « parricide », si, avec le « clonage »,
toute tentation en devient, enfin ! réellement écartée pour ceux qu’il sera
difficile d’appeler – par le fait même –« nos descendants » ?
[9] Actuellement,
le 122-1 est, au sein du code pénal, une « porte dérobée »,
dans le sens où la justice s’y « dérobe », précisément.
Certes, son fonctionnement n’a rien d’occulte, mais il est
resté longtemps « discret » et peu médiatisé, pour de
respectables raisons.
Le revers de cette discrétion en a été l’absence quasi
totale de critiques radicales, les contestataires préférant se placer sur le
terrain du caractère « arbitraire ou non » de chaque « hospitalisation
sous contrainte », sans en remettre en cause le principe, qui dépasse
de loin, de fait, la seule contrainte géographique.
Or, c’est, radicalement, le principe lui-même, que nous
déplorons, parce qu’il mélange, voire confond, les méthodologies soignantes et
administratives.
Mais cette « porte dérobée » pourrait bien devenir, dans un
certain avenir, un « portail », en changeant peut-être le nom
du « non-lieu », le principe restant exactement le même.
Ce « portail » permettrait alors de « dé-judiciariser »
certains « comportements » choisis, voire listés, sinon de
contrôler, dans une certaine mesure, les « intentions »,
puisqu’un comportement implique en général une séquence de démarches, de plus
en plus faciles à suivre et à surveiller.
Le « portail » de cette « dé-judiciarisation »
livrerait ainsi directement la personne aux ordonnances d’un exécutif qui
pourrait alors contraindre la personne, via ou non la « médecine »,
à un nombre de contraintes considérables.
Telle est la « dimension administrative »
du propos.
Une « dimension économique » pourrait
rendre la situation plus périlleuse encore pour les libertés publiques :
A l’image des « l’hospitalisations sous contrainte »,
dont les « bénéficiaires » restent soumis au « forfait
hospitalier », les
contraintes pourraient ne pas être gratuites pour l’usager. Dans une telle ère de « consommation contrainte », le statut « public » du
ministère de l’intérieur demeurerait alors la dernière garantie contre les
exploitations commerciales directes, garantie sans laquelle le consommateur, ou
une population, pourraient entrer dans un système d’aliénation pratiquement
sans fin.
L’imposition, au nom des standards, de « conduites
imposées », bonnes pour l’un, mais possiblement nocives pour un
autre, pourrait conduire à une « pseudo
médicalisation » :
Pour ne pas remettre en cause le standard, la cible frappée
de maladie, peut être désignée comme « anormale ».
Mais, plus le standard s’impose, plus les troubles
s’aggravent, même si ledit standard entend « par décret » les
« soigner », avec ses mêmes dites « normes ».
Lorsqu’il n’est prévu, pour « l’expression
naturelle » des dits « troubles », d’autre « champ »
que celui de la « clinique médicale », la plainte et la
réclamation, certes « déplacées » lorsqu’elles relèveraient,
en réalité, du domaine du « droit », peuvent être taxées, du
fait de cette inadéquation formelle, de revendication morbide.
Combien de fois tout
« soignant » n’a-t-il pas été témoin de ce qu’on peut appeler
ici « artefact de situation » et des équivoques qui en
résultent !
Lorsque le patient n’a pas la possibilité de « verbaliser
opportunément » sa peine, et que seul son corps peut l’exprimer, comme
disent les « psychosomaticiens », elle peut être « somatisée ».
Les « voies » de « l’expression
sans voix », peuvent être non seulement « comportementales »,
mais même « lésionnelles », pouvant devenir alors ainsi
silencieuses et/ou énigmatiques pour autrui, et donc d’autant plus difficiles à
entendre.
Ainsi, comme on sait, un ensemble de symptômes bien réels,
formant ce qu’il est entendu d’appeler « maladie », peut être
d’abord la seule forme d’expression d’un « langage », dont il
faut suivre les indications, avant qu’ils ne deviennent la pure expression de
graves lésions confirmées.
Mais la « verbalisation » en elle-même ne
suffit pas. Elle n’est pas ici un « but ». Elle est un « moyen ».
Elle doit être « opérante » : Il ne
sert à rien de parler « aux murs ».
Le destin des « verbalisations » n’est pas
le même dans un commissariat pour une affaire de police, dans une consultation
médicale, sans diffusion publique, ou dans un tribunal, des délibérations
duquel il serait légitime d’attendre une dynamique de progrès dans toutes les
dimensions de l’organisation sociale.
Si les consultations de psychiatrie se multiplient au point
que nous connaissons, là en est peut-être une cause.
Une prétendue « normalité », pourrait alors
devenir, en ce sens, de plus en plus rare : Il va sans dire qu’une telle
appréhension « normative » et « sourde » de
la santé est diamétralement opposée à l’esprit de toute médecine authentique.
Ces perspectives ne peuvent qu’inciter à la plus grande
circonspection eu égard à une telle « porte dérobée ».
[10] Qu’on nous
permette de traiter ici avec humour un paradoxe (un de plus !) :
Planétaire et « mondialisé », le sacro-saint
« week-end » - même étendu - est le bon souvenir d’un « repos
dominical » consacré au Seigneur du ciel. Cela explique alors
pourquoi, à l’heure où les églises étaient ouvertes, il est encore si difficile
de consulter un médecin (sauf urgence) : « Entre deux mondes, il
faut choisir ! » : Le « week-end » avec « Eglise »
ou « La Médecine » sans les « week-ends » !
[11] Il n’y a
pas d’équilibre social sans juste répartition. Le système judiciaire a charge
de le soutenir et concourt à le rétablir. Sa cohérence est un témoignage du
respect qu’elle porte à l’individu, disposition volontiers réciproque.
Il n’est pas de notre propos ici de traiter des problèmes
des prisons en France. Mais un vocabulaire souvent identique, même s’il est
abusivement employé, impose un rapprochement :
Il n’est pas rare d’entendre un juge parler « d’incarcération
en psychiatrie ». Trop souvent les questions sont pensées en termes d’alternative :
« prison ou psychiatrie » et trop souvent en termes de
rejet : La place de ce « prisonnier » ou de ce « patient »
n’est pas ici, mais là-bas !
En réalité l’une et l’autre institutions sont liées, comme
bien d’autres encore, qui procèdent, au plus haut, de mêmes instances et
reçoivent de semblables imperfections.
Et, l’expérience montre que la qualité des soins en un lieu
ne fait que favoriser la qualité des soins en un autre lieu. Tout le monde sait
aussi que dans une institution l’aménité d’une expression appropriée engendre
d’innombrables bienfaits, pour chacun et tous. Encore faut-il pouvoir faire
état de sincérité :
Ceci montre assez l’importance de la cohérence exigible des
lois, avant même les crédits financiers.
Mais, fondamentalement, la question n’est pas ici celle d’un
« choix parmi des catégories interchangeables ». Les simples
demandes exprimées elles-mêmes sont souvent différenciées :
Certains « prisonniers » réclament des
« soins hospitaliers »
nécessaires, et, inversement, nombreux sont les « patients »
à déclarer « préférer » aller en prison, en particulier parce
que « la durée de la peine » y est énoncée. Nombreux aussi
sont ceux qui « réclament justice par jugement » :
L’essentiel n’est-il pas simplement que « prison »
et « hôpital », sans s’exclure, mais pour répondre à des
besoins différents, devraient aussi répondre à des approches différentes, de
textes approuvés clairs et différenciés, en vue de permettre des traitements
appropriés différents ?
[12] Une des difficultés
à comprendre les « évolutions » réside très souvent dans ce
que la « nature des concepts » change avec elles : Les
« reptiles », en sortant de l’eau, n ‘ont pas été seulement
des « poissons terriens ». « L’homme » n’est
pas seulement un « reptile à deux pattes qui se tient debout » !
En passant du « cheval » à « l’automobile »,
on n’a pas seulement changé de moyen de transport ! Le « quantitatif »
peut devenir du « qualitatif », etc.
Dans notre société décrite ici, on est passé d’un « idéal
de morale chrétienne » accompagnée de ses fondements théoriques et de
ses effectifs pratiques, => à un « idéal d’ordre » encore
soutenu par une morale qui, ses fondements étant officiellement abolis, s’est
trouvée « débridée » => avant d’en arriver à un « idéal
de bonheur laïc », en formation et en recherche de « fondement
moraux théoriques » accompagnés de leurs effectifs.
Ainsi, autant c’est la « morale chrétienne »
qui avait engendré un « certain ordre », autant aujourd’hui,
c’est en grande partie, « l’ordre » qui engendre la « morale ».
Ce stade n’est pas encore réellement « assis » que déjà
l’évolution se poursuit…
On comprendra aussi de cette façon les frictions fréquentes
entre « morale » et « politique », « droits de l’homme » et « démocratie »,
etc.… : La théorie des « droits de l’homme », loin d’être
achevée, doit donc tenir compte à la fois de ses héritages moraux et des forces
de l’ordre turbulentes qui lui ont donné le jour …
[13] Le mot d’a d’ailleurs non plus
aucune définition ni médicale, ni préfectorale :
Comme
je l’ai écrit dans la page « l’invention
de la psychiatrie », les premiers « aliénistes »
étaient seulement chargés de s’occuper le mieux possible des « aliénés »
que la préfecture avait jugé bon d’interner.
Le
système aurait très bien pu aussi fonctionner sans médecin du tout.
Les
dossiers de la préfecture, eux, ne mentionnaient aucun diagnostic, et chaque
« aliéné » était fiché et repéré en tant « qu’anormal »
portant seulement « un numéro ».
Beaucoup
de « maladies mentales » ne furent « découvertes,
reconnues et décrites » que plus tard et peu à peu, et on leur
attribua des noms savants divers, souvent forgés sur des racines lexicales
grecques.
Dès
lors, l’internement préfectoral pouvait apparaître aux yeux des médecins,
justifié par une « maladie », elle même étant cause des actes
ou comportements, qui, au contraire, avaient perdus toute existence juridique,
et donc toute possibilité de poursuites judiciaires.
Car
les médecins étaient en effet chargés de rédiger un certain nombre de
certificats adressés à la préfecture et savaient bien, dès 1838, que les actes
ainsi déjudiciarisés avaient pourtant eu une existence réelle, pouvant relever
de multiples causes, très souvent inconnues.
Pourtant
ces certificats ne devaient pas tenir compte non plus d’un langage
nosographique savant que la préfecture n’était pas censée connaître, mais
seulement expliquer si le médecin pensait opportun ou non le maintien de
l’internement.
Ces
certificats dits « légaux » étaient donc généralement très
courts.
De
toutes façons, quels que soient les débats entre spécialistes et les
certificats médicaux, c’est à la préfecture qu’appartenait la décision du
maintien ou de l’élargissement.
A cet
égard, même si le savoir médical a progressé, la situation administrative n’a
que peu changé, et en effet, elle n’a guère de raison de le faire, puisque ses
défauts ne résident pas dans ses applications, mais dans les confusions
originelles de sa construction auxquelles personne ne veut toucher.
Il
n’en reste pas moins qu’il a été aussi reconnu, dès l’origine, que certains
« traits de caractère » faisant partie de telle description de
telle maladie, peuvent, en fonction des circonstances, apparaître à l’inverse
comme des qualités (« paranoia »/ « méfiance » ;
« obsession »/ « application », etc.), ce qui alimenta
beaucoup de débats, de thèses savantes, et d’ouvrages souvent minutieux et
subtils
[14] Il y a
une distance entre « les vœux pour les choses » et leur
existence réelle : C’est seulement en usant d’une méthodologie, voire
d’une idéologie, inadéquates, que l’on songerait à traiter les affaires morales
comme des affaires médicales :
On oppose à tort les
maladies physiques aux maladies mentales et l’on confond gravement le domaine
moral avec le domaine mental : La morale s’inscrit dans le rapport de l’un
à l’autre des hommes.
On aurait sans doute aimé
trouver dans la médecine les nouveaux « fondements » de
principes moraux « modernisés », fonction anciennement dévolue
au religieux, ou, pour le moins trouver en elle « appuis » ou
« justifications » des nouveaux équilibres. Ce vœux rejoint la
très ancienne tradition de quête du « droit naturel »,
réactivée dans le cours des bouleversements issus de la « philosophie
des lumières »:
En fait, si l’on peut facilement
retrouver dans la nature un « équilibre évolutif », et qui
préexistait à l’homme, il ne portait pas le nom de « droit ».
Et si l’on érige cet équilibre en un « droit » qui le
décrirait, ce « droit » ne serait pas la «
justice » prédéfinie par l’énonciation de ces critères humains que
l’on appelle « moraux ». Ces critères de justice, qui
projettent de l’homme l’image « spéculaire » qu’il souhaite se
donner de lui-même, sont précisément les reflets de ses ambitions en
intangibilité, en immuabilité, en éternité. Mais tout homme n’est pas l’Homme.
Finalement, l’impérieuse nécessité et la force du désir se rencontrent et
prennent de multiples visages, issus des deux sources turbulentes de notre
droit que sont le « moral » et le « politique ».
En revanche, on ne pourrait pas
appeler « morale » la seule soumission à quelques « paramètres
autocratiques », et partant « non-moraux », de
régulation individuelle, médicaux, biologiques, métaboliques, idéiques, qui,
seuls, ne mèneraient pas bien loin, car ils ne suffisent pas. Toute espèce vit
organisée. Quel animal pourrait-il survivre longtemps en seulement suivant ses
seuls instincts ?
Ainsi, la « morale » autant que la « biologie » sont deux
éléments nécessaires à la vie humaine. L’un
et l’autre sont nécessaires, mais justice et médecine ne sont pas commuables. Chaque
rivière suit le cours de sa vallée !
On
pourra alors, en suivant cette image, comprendre le « 122-1 »
comme un canal qui détourne les eaux et compromet l’irrigation de la plaine. Le
médecin se représentera métaphoriquement la « fistule
artério-veineuse » qui déjoue la vascularisation de l’organe en aval.
Tout alors devient temps et
lieu, amont et aval :
Lorsque l’on reproche à un
délinquant d’avoir « succombé » à quelque pulsion, comment
peut-on demander à l’agent d’une science biologique d’y remédier après constat
que la fonction est saine ? Car alors, la causalité ne vient pas de
l’organe, mais d’un débordement des règles de la communauté. Dès lors, il
appartient à qui(s) de droit de les lui faire comprendre et les lui faire
appliquer, voire quelquefois de les lui seulement enseigner, plutôt que de l’y
en, prématurément, soustraire !
Si ces « qui de
droit » n’existent pas, nul doute qu’il faut les faire exister, mais,
justement, ni les faire médecins, ni soustraire leurs obédiences, ni leurs
efficiences au champ de la plus commune justice ! Ainsi seulement aussi la
médecine pourra-t-elle rester véritablement dans son champ, disponible et diligente,
attentive à entendre une demande à laquelle on aura donné le droit de
naître !
On peut être à la fois
« malade et misérable » et remédier à l’un et l’autre :
Mais ce n’est pas l’argent qui soignera, ni la santé qui enrichira.
Plus même, comment l’éthique
d’un médecin l’autoriserait-elle à altérer un organe duquel il ne constaterait
qu’un fonctionnement parfaitement normal, lorsque tout « le mal »
en est dans son mésusage, alors qu’elle lui commanderait de le soigner s’il
était altéré ?
Quant aux « soins »,
le mot, en réalité, a pris plusieurs sens qu’il ne faut pas mélanger : Il
y a des soins en médecine et il y a d’autres sortes de soins qui ne relèvent
pas de la médecine. De la même façon, les mots « santé » et
« sanitaires » peuvent être employés dans des sens
métaphoriques multiples :
Dans le courant de nos
transformations culturelles, en traduction d’une nouvelle cosmologie, la
« sollicitude humaine » a largement été amenée à se substituer
à ce que l’on attendait de la « miséricorde divine », mettant
ainsi à disposition une multitudes de « soins nouveaux » de
réconforts existentiels.
D’autre part, parmi les valeurs
profanes, la médecine elle-même a été valorisée, en tant que « défenseur
de pérennité » dans l’ici-bas. La continuité d’un art ancestral a
ainsi pris un sens nouveau dès lors que ce qui meurt en l’homme c’est alors,
bien plus que « la vie du corps », radicalement, « son
esprit ».
Ce
fondement doctrinal intangible de la culture de « modernité »
semble aussi être devenu son plus implacable moteur au service de nos plus
inassouvissables quêtes.
A l’homme
revient donc maintenant nettement d’assumer beaucoup plus radicalement la
totalité de deux tâches très différentes et qui, l’une en rupture avec les
anciennes institutions, l’autre avec un sens nouveau, ont acquis un regain de
prégnance :
La dispense de soins de
sollicitude existentiels
Et la dispense de soins médicaux
scientifiques.
Fin des
notes de bas de page.