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Publié dans l'Évolution Psychiatrique. (année 1994 -1er trimestre. Tome 59. pp 39-51)
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« DU CONTOLE JUDICIAIRE DE LA PRIVATION DE LIBERTE DANS LA PSYCHIATRIE FRANÇAISE »
docteur Philippe Rappard, Psychiatre honoraire des hôpitaux, Maître de conférences au Collège Hospitalier Pitié-Salpêtrière de Paris, 91, route de Saclas, 91150 Etampes.
docteur Jacques de Person, Praticien hospitalier. C.H.S. de Perray-Vaucluse. 91360 Epinay sur Orge.
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Résumés :
En Français : Grâce à la procédure d' Habeas Corpus apparue en Angleterre l'année 1679, un citoyen ne peut être privé de liberté sans l'intervention judiciaire. Cette procédure s'est étendue depuis à de nombreux pays, dont l'Allemagne et l'Espagne en 1978. Une telle procé dure souhaitable aussi pour la France obligerait à revoir toute la législation de l'hospitalisation sous contrainte. La protection de la personne serait alors garantie par les mêmes instances que celles qui assurent depuis 1968 la protection des biens, tout en en restant séparée.
In English
: French psychiatry
-system and Habeas Corpus procedure : About the juridical control of
deprivation of liberty in French psychiatry. - During to the Habeas Corpus,
which appeared in England in 1679, a citizen cannot be deprived of liberty
without juridical intervention. This procedure has been extended to many
countries, among which Germany and Spain since 1978. Such a procedure desirable
also for France would require a revision of the whole legislation of compulsory
hospitalisations. The protection of the person wouId then be guaranteed by the
same instances that those which guarantee the prorection of private properties,
while remaining distinct.
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Citation :
« Le médecin laissera au
juge le soin d'établir, dans un but social, une responsabilité morale limitée
artificiellement au Moi méta psychologique. Tout le monde sait à combien de difficultés
il se heurte pour donner à ses conclusions des suites pratiques qui n'aillent
pas à l'encontre des sentiments humains »
Sigmund FREUD, in: « Quelques
notes additionnelles à l'interprétation du rêve dans son ensemble ».
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Texte publié en 1994 :
L'originalité actuelle du
système psychiatrique français est, en ce qui concerne l'hospitalisation sans
leur « consentement libre et éclairé» des « personnes réputées malades mentales
», de ne pouvoir faire intervenir le pouvoir judiciaire qu'après coup,
c'est-à-dire après la contrainte.
La loi du 27 juin
1990 emploie plusieurs termes pour désigner ces personnes, comme si
leur usage se cherchait au travers d'une gêne.
Le titre parle de «personnes
hospitalisées en raison de leurs troubles mentaux », ce qui ne laisse
guère de place à l'hospitalisation «pour observation », pratique pourtant
normale en médecine, ce qui permettrait par exemple le passage simple d'une
spécialité à une autre éventuellement.
L'article 1 parle ensuite de la lutte
contre les « maladies mentales ». Le mot vient
ici sans aucune espèce de définition préalable. Alors que le titre parlait
d'individus, la maladie revient comme un « fléau» de dimension collective,
sinon contagieuse.
L'article II parle de « malades
atteints de troubles mentaux », sorte de synthèse entre les deux
propos précédents: il ne parle plus de personnes mais de malades, mais non de
maladie, sinon de trouble.
On rapprochera de cette gêne
l'hallucinante dénomination de « Centre Hospitalier
Spécialisé» apparue vers 1975 pour les ex Centres Psychothérapiques.
ex Hôpitaux psychiatriques. ex Asiles d'aliénés.
Malheureusement, cette
politique linguistique «de l'autruche» ne s'accompagne d'aucune humanisation.
L'exclusion reste bien réelle. et les dernières pages de la loi, si différentes
des principes énoncés ou sous-entendus des premières, en témoignent. On eût
tellement préféré que le législateur laissât à la médecine le soin de définir
son jargon propre et s'employât à éviter l'exclusion au lieu d'en masquer les
termes!
Il s'agit donc là d'un
contrôle judiciaire a posteriori de la régularité quant à la forme et
de l'opportunité sur le fond des mesures et aux yeux de la justice, à partir
d'une loi que le pouvoir exécutif est chargé d'appliquer. La loi de 1838 sur
l'internement (fidèle à son principe) se réduisait à"une procédure administrative
pure, avec contrôle éventuel a posteriori par le pouvoir judiciaire.
Que le procès soit avec ou
sans cause n'était pas en question au début de son fonctionnement. La question
du fond, de la matière du procès était éludée de la procédure d'internement
administratif, et réservée - éventuellement à la supervision judiciaire qui,
comme on l'a vu, pouvait aborder et le fond et la forme. Le fond est bien sûr
ce qui a toujours fait le plus problème dans les faits et les débats sur «
l'opportunité» de la mesure.
La question de la cause ne
pouvant être éludée par principe, les aliénistes devinrent les techniciens
chargés d'étudier celle-ci. C'est ainsi que proliféra un langage de
spécialistes: « monomanies, folie circulaire, dégénérescence.
schizophrénie, psychose », et même sadisme ( le mot daterait de 1886 )
ou masochisme.
Il faut bien remarquer à ce
stade que le futur psychiatre, l'aliéniste, est d'abord le technicien d'une
cause a priori éludée par l'administration, à charge pour l'intéressé
ou un tiers d'en référer au tribunal s'il le veut et le peut.
La compatibilité de cette
fonction avec la fonction de thérapeute est devenue progressivement l'objet de
critiques sur le plan déontologique.
La clinique française est
brillamment descriptive. Ce qui lui manque, c'est évidemment le chapitre
étiologique. Nous essayons ici de décentrer ce chapitre en l'intégrant dans un
contexte plus général de marginalisation.
Cette marginalisation,
suivant les causes qui la sous-tendent, le moment où elle se manifeste, les
contextes sociaux et biologiques du sujet notamment, produisent des types de
caractères et de conduites particulières pour lesquels l'appellation
malheureuse de maladie mentale revient à changer le sens traditionnel des mots
« maladie» et « mental », et engendre souvent de graves
« quiproquos ».
Dans la plupart des pays
d'Europe et du monde, le pouvoir judiciaire intervient « a priori» dans
la décision d'hospitalisation ou de traitement, et c'est le pouvoir
administratif qui exécute la mesure adoptée par le juge (qu'il s'agisse de
l'hospitalisation des « malades mentaux» ou d'interruption de « l'acharnement
thérapeutique », voire d'assistance au suicide).
Ces deux derniers rôles sont
d'ailleurs très proches du premier. Dans les trois cas il s'agit, pour la
justice, de trancher un débat de « bon sens» qui fait intervenir une grande
quantité de paramètres, dont et de plus en plus le prix de revient de chaque
intervention. Il s'agit donc d'un débat dans lequel les exigences de l'intérêt
de l'individu tendent, mettent en tension le ressort social jusqu'au moment où
-celui-ci « casse », pour éviter à la société de « perdre la raison».
La France est toujours et
partout fidèle au contrôle a posteriori du pouvoir judiciaire: juge
judiciaire pour les affaires civiles ou juge administratif pour les
établissements publics; contrôle a posteriori des décisions des
assemblées communales, départementales ou régionales, qui fondent la loi dite
de décentralisation de 1982, en donnant au préfet un rôle nouveau dans ces
prérogatives.
On voit donc maintenant que
l'internement psychiatrique est apparenté à une opération de technicien
responsable de son acte (comme le serait d'ailleurs t0ut médecin, tout
fonctionnaire). Mais ici, d'une part il Y a deux figures à étudier, puisque ces
techniciens responsables sont soit un préfet, soit un (en 1838) puis deux (en
1990) médecins. D'autre part et surtout, ces responsables agissent en tant
qu'ils se sentent investis d'une responsabilité d'ordre judiciaire, devant
confronter les intérêts de l'individu et ceux de la société. Or, ils ne sont
point juges.
L’intérêt de l’Habeas
Corpus est donc en train de se profiler.
Si l'on veut comprendre le
système en terme de perversion, nous dirions que la perversion d'une médecine
ou d'un ordre préfectoral n'est pas qu'un médecin ou un préfet soient en même
temps juges ou qu'un juge soit en même temps médecin ou préfet, ce qui peut
être très heureux, mais qu'un médecin ou un préfet soient juges dans un monde
où il a été déclaré préalablement que le médecin ou le préfet n'avaient pas
l'autorité d'un juge.
Or, la séparation des
pouvoirs est une donnée importante de notre société depuis 1789. Un médecin
peut-il donc être investi dans ce cas d'un pouvoir judiciaire ? Dans le même
sens, le préfet qui est en principe un représentant de l'Etat peut-il
valablement agir en représentant de l'intéressé et du peuple?
N'y a-t-il pas là en même temps
que confusion des pouvoirs exécutifs et judiciaires, confusion entre l'État et
le peuple, entre le Service Public et le Service d'État et, pour parler du lieu
géographique où se déroulera l'internement, confusion entre un hôpital public
et un hôpital d'État? Or, la différence est considérable.
La France a été amenée
cependant à complexifier les procédures par la mise en place, à titre
expérimental et peut-être provisoire, de la loi du 27 juin 1990, qui vise à
concilier les principes de la recommandation R 83-2 du comité des ministres du
Conseil de l'Europe et la loi du 2 mars 1982 sur les droits et libertés des
communes, des départements et des régions.
La question se pose de
savoir s'il ne serait pas plus simple en France d'adopter les procédures d'hospitalisation
sous contrainte, en recourant au principe de l'Habeas Corpus (comme le
font par exemple le Royaume Uni, l'Allemagne Fédérale, l'Espagne depuis 1978)?
C'est ce que proposait l'avis de la commission des lois du Sénat (commission Dreyfus-Schmith).
En France en effet, le souci
de conserver les procédures d'internement en évitant la voie judiciaire
aboutit, par ailleurs, à faire échapper à la justice des criminels et des
délinquants, en obligeant le corps médical à maintenir dans les établissements,
par-delà les périodes de soins, des sujets qui risquent de récidiver (sans que
cette récidive soit scientifiquement prévisible, mais en raison de
l'imputabilité des infractions aux représentants du pouvoir exécutif dont font
partie les médecins et les directeurs d'établissement 'et les préfets par un
transfert discutable de responsabilités).
Il y a lieu ici de séparer
les deux cas d'internement:
Dans le « placement d'office », le préfet peut
contraindre un directeur d'établissement à garder une personne. En pratique,
celui-ci demande au médecin de l' y aider. La situation devient délicate pour
un médecin dont la conscience professionnelle peut être en désaccord avec
l'ordre préfectoral.
Dans l'hospitalisation à la
demande d'un tiers (H.D.T.), tout se passe presque entre médecins, puisque ce
sont deux médecins demandeurs qui demandent au directeur d'hôpital de garder
une personne en s'aidant d'un troisième médecin dit «traitant
», mais c'est là que les rôles d'arbitre judiciaire, de
technicien des soins et de représentant de l'exécutif
cumulés par la médecine, se trouvent les plus inconciliables, trois
responsabilités ayant leurs règles propres, nécessitant la
reconnaissance d'une hiérarchie de valeurs absolument subjectives et en rien
légales.
En 1968, le pouvoir
judiciaire en France a été réintroduit dans la gestion et la protection des
biens des « incapables majeurs », parce que ces « personnes» sont
de plus en plus suivies en dehors des établissements, dans la communauté
sociale. Le plus opportun serait, tout en maintenant séparées la protection de
la personne et la protection des biens, de confier aussi celle des personnes au
pouvoir judiciaire, conformément à l'article 66 de notre Constitution de 1958.
Le rôle des médecins en serait clarifié, et l'appareil judiciaire français
serait obligé d'évoluer dans un sens à la fois anthropologique et pragmatique.
Il ne faut plus demander à la psychiatrie, en France, de couvrir certaines
insuffisances de notre justice, car ce n'est rendre service, ni à la médecine,
ni à la justice, ni à la police, ni aux usagers.
Là où nous, Français, avons
comme référence 1789, les Anglo-saxons ont, eux, 1688 et 1689. N'oublions pas
qu'ils ont fait leur révolution contre l'absolutisme cent ans avant nous, et
que l'Europe se calquera peut-être plus sur leur droit (la « common
law ») que sur le nôtre. Sans compter qu'ils nourrissent à l'égard de
notre droit administratif une aversion certaine.
La procédure « d'Habeas
Corpus» est une procédure simple, pratique, adoptée par les pays
anglo-saxons depuis 1679 et par la plupart des pays d'Europe en ce qui concerne
les personnes hospitalisées contre leur gré. Pragmatique, cette procédure se
fait à la demande du sujet ou d'un tiers qui peut être le médecin du sujet (en
Espagne). Le juge est alors saisi et doit apprécier l'opportunité dé la
privation de liberté. Cette procédure aboutit dans le domaine de la psychiatrie
et dans les pays où elle existe à « l'hospitalisation par voie judiciaire» des
personnes réputées malades et dont la mise en liberté est réputée dangereuse.
En matière pénale, la
privation de liberté peut être préventive. En cas d'hospitalisation sous
contrainte, elle l'est toujours eu égard au supposé danger (puisque ce n'est
jamais une sanction).
Remarquons que la prévention
pénale est préventive par rapport à la peine éventuelle qui découlerait de
l'éventualité de la responsabilité d'un auteur dans un acte ayant déjà eu lieu.
Actuellement, cette
prévention en psychiatrie est « une privation de liberté par
rapport à un acte qui n'a pas eu lieu » . Cette prévention ne peut
d'ailleurs actuellement s'argumenter que sur un ou plusieurs actes ayant déjà
eu lieu, mais n'ayant pas par eux-mêmes eu à donner lieu à un châtiment pénal.
Cette absurdité nous oblige
à nous interroger sur le sens dudit « danger », puisque c’est lui qui
est mis en avant par les lois de 1838 et 1990.
Que sont les situations
dites de « danger psychiatrique»? Sont-ce des risques de « passage à l'acte»
imminents? Certes non. Car lorsque de tels risques apparaissent par la
manifestation de signes extérieurs ou d'intentions exprimées, ceux-ci sont donc
sanctionnables juridiquement, ou se situent-ils dans l'ordre de l'urgence
médicale? Nous y reviendrons.
Lorsque de tels risques ne
sont pas extériorisés, personne n'en a connaissance. C'est lorsque les risques
ne sont pas imminents que les problèmes peuvent être soulevés valablement:
S'il existe des
manifestations extérieures répréhensibles, là encore, rien n'empêche de saisir
la justice.
C'est lorsqu'il n'existe ni
imminence du danger ni manifestation extérieure répréhensible, que l'on demande
alors au psychiatre d'apporter un pronostic, véritable défi à la réserve qui
sied au médecin, basé sur des signes intérieurs qu'il « découvre» et rapporte
au domaine de la « maladie ».
Mais ces questions touchent
avant tout aux convictions, à l'opinion personnelle, voire au domaine des
connaissances, de la culture, de l'information, de l'éducation et du libre
arbitre.
Toutes ces problématiques
existent sans doute, mais ce n'est ni la police, ni la médecine considérée
comme son alliée, son vassal ou son suzerain qui peuvent les résoudre. Bien
plus, leur intervention inappropriée risque de les aggraver.
Au moment de « l'absence de
faits »,
le véritable problème n'est-il pas plutôt celui d'un danger de nature
philosophique sinon « morale », au sens où ce mot était employé au XIXème
siècle? D'où aussi ce halo de contagiosité comme il en va autour de toute
contestation naissante.
Or il n'est pas sûr que la société
ait intérêt à occulter ces cas, et la seule instance propre à décider du licite
et de l'illicite est la Justice.
Mais la Justice peut-elle
intervenir sans une présomption de délit?
Or il n'existe pas de délit
d'opinion dans une France qui a choisi la liberté des croyances.
La privation de liberté dans
ces cas ne serait-elle pas, en définitive, une remise en question tacite de ce
choix, d'une limitation voilée du droit de penser « librement» et d'un non-dit
qu'il y aurait grand avantage à mettre en lumière?
Le problème est peut-être
celui des contradictions d'un pays 'encore expérimental de la liberté, qui,
faute de pouvoir autoriser une véritable laïcité, n'a souvent pensé la
laïcisation que comme une nationalisation des prérogatives de la religion. Or
c'est la raison d'être des tribunaux d'apprécier ce qui est délit et ce qui ne
l'est pas. Faute de quoi, l'internement ne pourrait être autre chose qu'une
garde à vue sans objet, dont l'absence de limitation décuplerait d'ailleurs
considérablement la portée des critiques proférées habituellement à l'encontre
de celle-ci.
De même, on imagine
facilement en quoi la mesure est volontiers « confusogène ».
On sent encore ici davantage
la nécessité de la séparation des pouvoirs, des dossiers et celle du secret médical,
pour éviter le cycle infernal des erreurs de champ et des répétitions stériles.
Un slogan de prudence ne saurait être érigé en un « principe médical de
condamnation» qui serait, par anticipation abusive, la dénégation même de toute
possibilité d'évolution et de guérison.
En France, la procédure d' Habeas
Corpus n'aboutirait pas toujours à l'internement. On peut considérer que
l'ex-article 29 de la loi de 1838 remplacé par l'actuel article L. 3S 1
de la loi du 27 juin 1990 et qui correspond à la sortie par voie judiciaire,
consiste en une sorte de procédure d'« Habeas Corpus» a posteriori:
Art. L. 351: «Toute personne
hospitalisée sans son consentement ou retenue dans quelque établissement que ce
soit, public ou privé, qui accueille des malades soignés pour troubles mentaux,
son tuteur si elle est mineure, son tuteur ou curateur si, majeure elle a été
mise sous tutelle ou en curatelle, son conjoint, son concubin, tout parent ou
toute personne susceptible d'agir dans l'intérêt du malade et éventuellement le
curateur à la personne peuvent, à quelque époque que ce soit, se pourvoir par
simple requête devant le président du Tribunal de Grande Instance du lieu de la
situation de l'établissement qui, statuant en la forme des référés, après débat
contradictoire et après les vérifications nécessaires, ordonne, s'il y a lieu,
la sortie immédiate. Toute personne qui a demandé l'hospitalisation ou le
procureur de la République, d'office, peut se pourvoir aux mêmes fins. Le
Président du Tribunal de Grande Instance peut également se saisir d'office à
tout moment pour ordonner qu'il soit mis fin à l'hospitalisation sans
consentement. A cette fin, toute personne intéressée peut porter à sa
connaissance les informations qu'elle estimerait utiles sur la situation du
malade hospitalisé ».
Dans ce cas, c'est donc
après une décision judiciaire que la personne sera libre ou retenue par
contrainte. Plusieurs remarques sont généralement développées à ce propos:
. sur le délai entre la
demande et l'entretien avec le juge ou la décision de celui-ci. Il s'appuie
souvent sur une expertise qu'il demande. Nous avons vu un délai de huit mois;
. sur les possibilités de la
personne à faire appel. Elle peut être invalidée par une ignorance de la loi,
ou des calmants ou même des difficultés matérielles;
. sur la nature de
l'entretien judiciaire, sans avocat.
Rappelons le texte de l'article
1 de 1'« Act » d'Habeas Corpus édicté par le Parlement en 1679:
« Lorsqu'une personne exhibera un
« wright of habeas corpus » délivré contre un shérif ou un geôlier
sous les ordres d'un shérif, ou contre qui que ce soit, en faveur d'une
personne confiée à leur garde, et remettra ce « wright » au dit fonctionnaire... le dit
officier ou ses subordonnés devront dans un délai de trois jours... amener ou
faire amener le corps (body) du détenu devant le lord chancelier, ou le lord
gardien des Sceaux d'Angleterre, ou devant les juges... ils devront d'autre
part énoncer les raisons sincères de l'internement... etc. »
« Que le corps..! »
garantit donc la liberté individuelle et protège des arrestations arbitraires.
Voté en 1679 sous Charles II, ce texte
s'inspire de la « Pétition des Droits de 1628 », et inspire la
« déclaration des Droits de 1689 » qui parachève l' œuvre de
la « révolution anglaise de 1688 ». Il accorde au corps une
importance que le Droit Français ne lui accorde pas, puisque, selon Meurer,
dans notre droit « la personne physique, c'est la personne juridique avec
un surplus physique ».
En France, ce « surplus»
physique est confié à une équipe hétérogène. C'est du moins l'esprit avoué de
la loi. Mais il faut y regarder de plus près.
En réalité, il faut encore
distinguer ici le placement d'office ou H.O. de l'hospitalisation à la demande
d'un tiers ou H.D.T. Dans le placement d'office, un corps vivant (nous disons
corps vivant non pas pour opposer ici corps vivant à cadavre, bien que le
lapsus « d’internement » à «enterrement » ait été entendu, mais
pour souligner que ce qui fait problème n'est pas le corps mais sa vie) est
confié à un directeur de CHS par un préfet. Le médecin n'en est pas le gardien
mais l'expert de sa santé physique et mentale et, éventuellement, parfois le
soignant.
Dans l'hospitalisation à la
demande d'un tiers (ou HDT), c'est un (ou 2) médecines) qui décide(nt) de
confier un corps vivant à un directeur de CHS, à charge selon des formalités
variées que la sortie soit ordonnée par le médecin qui en sera le gardien et/ou
le soignant, ou d'autres personnes énumérées par la loi. Ce corps vivant n'est
donc confié qu'occasionnellement à un médecin, et il importe de savoir que le
médecin n'est jamais choisi par le patient et que le médecin désigné comme
responsable administratif en cas de placement volontaire (ou HDT) n'est pas le (ou
les) médecines) qui a(ont) préconisé l'internement.
La situation n'est pas
nécessairement conflictuelle au sens propre. Elle peut cependant être
explosive.
En Grande-Bretagne, ce corps
est confié au magistrat sans pour autant le soustraire au médecin. En France,
le pouvoir administratif soustrait l'individu à la justice, comme si, soit du
fait de la société civile, soit du fait de la maladie mentale, la situation
était toujours considérée comme révolutionnaire. Ce qui caractérise la
période révolutionnaire, selon Claudius Petit, c'est que la protection
des citoyens est assurée par l'administration. Dans les années 1988 et
1989, le cent cinquantième anniversaire de la loi du 30 juin 1838 sur
l'internement ayant été célébré en France presque en même temps que le
bi-anniversaire de la déclaration de 1789 et de la Révolution, il s'est
introduit dans l'esprit de certains une confusion de principes difficilement
conciliables.
Cette confusion est une
erreur à la fois historique, psychologique et culturelle.
Historiquement
: Il faut absolument différencier des événements séparés par cinquante
ans d'existence et liés par des relations de cause à effet. 1838 est une
conséquence lointaine de l'échec de 1789. Échec à plus d'un titre. Napoléon n'a
pas réussi à faire passer le message de la Révolution. La France ne s'est
jamais relevée, sur le plan européen et face à l'Angleterre, des pertes que
celle-ci lui a fait subir.
Psychologiquement. :L'esprit de 1789 était l'abolition
du régime monarchique de l'arbitraire, de l'absolutisme, et l'introduction de
la séparation des pouvoirs réclamée par Montesquieu. Au contraire, l'esprit de
la loi du 30. VI. l838 est celui de la Restauration de la monarchie, du
rétablissement des privilèges et du rétablissement de fait du rassemblement des
pouvoirs. Certains députés l'ont fait remarquer dans les débats de 1837.
Culturellement : le peuple de 1789 n'avait pas
l'intention de changer la hiérarchie des valeurs vitales. La France était
encore rurale, l'industrie était rudimentaire. Les physiocrates n'étaient pas
des commerçants.
En 1839, on parle déjà moins
de « l'intention du peuple ». Ce sont les dirigeants qui font entrer la France
délibérément dans le système capitaliste et colonialiste (Algérie, 1830). En
1838, les malades mentaux sont assimilés à des colonisés.
Pour respecter les principes
du Conseil de l'Europe (et en particulier ceux de la Résolution R 83-2), il a
donc fallu complexifier (sans la modifier) la procédure instaurée par la loi de
1838, en s'écartant d'ailleurs de l'article 66 de notre Constitution de 1958
qui précise:
Art. 66: «Nul ne peut être
arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté
individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par
la loi».
En ce sens, la loi de 1838
aurait pu apparaître non conforme à la Constitution de 1958.
Pour des raisons proches, en
Espagne la loi sur les internements de 1931 a été déclarée
anti-constitutionnelle après la Constitution de 1978, ce qui a obligé à refaire
toute la législation de la psychiatrie, et parmi les innovations, la
reconnaissance de l' Habeas Corpus pour les « malades mentaux ».
Le « contrôle à posteriori »i
du pouvoir judiciaire en France est essentiellement bureaucratique.
Jugeant sur pièces, les
magistrats se fient au témoignage des médecins hospitaliers qui fonctionnent
comme experts permanents de l'administration. En Allemagne Fédérale, le
magistrat reçoit personnellement le malade et discute avec lui. Un corps de
magistrats (spécialisés en psychiatrie d'une certaine façon), «équilibre» le
-corps des médecins psychiatres.
Et pourquoi ces
magistrats-psychiatres n'interviendraient-ils pas dans la protection de la
personne comme ils interviennent déjà dans la protection des biens?
Le sens de l'administration
étatique change en France, à tel point qu'on y reconnaît de moins en moins le
droit public. Notre droit administratif, droit «imparfait» par définition, qui
faisait l'originalité de notre pays, est de plus en plus contesté au niveau de
l'Europe qui veut donner la préférence à la conception anglo-saxonne de la Common
Law.
La conception de « l'état-action»
et des «politiques publiques» tend à faire de notre pouvoir administratif
un gestionnaire de profits et de coûts et non plus un gestionnaire de droits.
Peut-être est-il souhaitable
dans le domaine des traitements sous contrainte (qu'ils soient hospitaliers ou
ambulatoires), de tenir compte autant de nos voisins dans la future Europe que
du nouveau et impitoyable référentiel de l'Administration française.
Très particulier," l'internement
par voie judiciaire", sinon des malades mentaux
ordinaires du moins des malades mentaux criminels et délinquants, clarifierait
la situation. L'internement serait donc le corrélat d'une peine,
laquelle pourrait être fonction de l'acte.
La recommandation R 83-2
autorise pour les malades mentaux ordinaires, l'intervention prévalente du
pouvoir administratif ou du pouvoir judiciaire. Mais en ce qui concerne les
malades mentaux criminels et délinquants, elle part du principe que ce sont
toujours les tribunaux pénaux qui prennent les décisions. En France, la loi du
27.06.1990 fait perdre aux malades mentaux médico-légaux, le bénéfice de la caducité
automatique des mesures d' hospitalisation d'office en exigeant l'accord de
deux experts quant à la sortie. Les médecins sont donc conduits à garder dans
des institutions hospitalières certains sujets au-delà de la période de soins,
en fonction d'une dangerosité potentielle et à agir « ante delictum ».
Il y a là, mine de rien, une grave atteinte aux principes fondamentaux du
droit, et il serait opportun que, dans cette faille, s'élabore une réforme du
code pénal, qui, en modifiant l'article 64, ne ferait plus échapper les malades
mentaux criminels à la justice et élargirait le champ d'une justice non
répressive qui tiendrait compte autant de l'indemnisation des victimes (l'acte
n'étant plus annulé) que de la resocialisation et du traitement des criminels
et des délinquants.
Si la réforme prévue du code
pénal de 1810 suivait l'évolution inaugurée par le code civil et, en n'annulant
plus]' acte, redonnait au malade mental sa responsabilité pénale (comme
l'article 489-2 nouveau du code civil lui rendait sa capacité civile), les
modalités de l'hospitalisation et des soins, à la demande d'un tiers ou
d'office, pourraient être simplifiées. La situation juridique des malades
mentaux ayant été, dans notre droit, clarifiée, permettrait dès lors une
organisation « non hospitalo-centrique » des soins et de la
gestion des biens, en accord avec l'évolution actuelle de la politique
psychiatrique de secteur et de son inscription dans la communauté sociale. Il
suffirait pour cela, en un article unique inclus dans le code, d'aménager
l'actuel article L. 351.
Quant à l'hospitalisation
sous contrainte des patients ni criminels ni délinquants et donc sous « article
64 », elle semblerait pouvoir s'inscrire suffisamment dans l'article
63 du code pénal sur l'assistance aux personnes en danger et
rejoindre, par ailleurs, le code général de la médecine. Est-il en effet
vraiment souhaitable qu'un médecin rédige un premier certificat à la suite
duquel un tiers demandera à un deuxième médecin d'en rédiger un second, pour
faire contenir et/ou soigner un dit patient souvent dans une situation de drame
dans un lieu où il sera examiné et suivi par un troisième médecin susceptible
de porter une indication différente, cela dans le cas du HDT? Ou bien qu'un
préfet conseillé par un tel médecin rédige une ordonnance pour faire entrer
sous contrainte ledit patient dans un établissement où il sera examiné et suivi
par un autre médecin... susceptible de porter une indication différente..? et
cela sans parler des problèmes difficiles posés ensuite par la sortie!
Il ne nous semblerait que
normal qu'un médecin - dit psychiatre, s'il en est - mette en application
lui-même les soins qu'il préconise, à charge pour lui de se justifier après
l'urgence (au besoin devant la Justice).
Ainsi, la déontologie de
l'exercice de la psychiatrie rejoindrait totalement la déontologie générale de
la médecine. L'apparente exception des réputés malades mentaux criminels ou
délinquants serait en fait un problème judiciaire à côté d'un problème de
psychiatrie, comme il en est de n'importe quelle affection médicale chez un
délinquant.
En attendant, la loi du 27
juin 1990, sans apporter de vraies réformes, aggrave la situation des malades
mentaux criminels et délinquants, hospitalisés par voie administrative après
non-lieu judiciaire en application de l'article 64 du code pénal. L'article L
348.1 précise qu'il ne peut être mis fin à ce type d'hospitalisation « que sur
décisions conformes de deux psychiatres n'appartenant pas à l'établissement et
choisis par le préfet sur une liste établie par le procureur de la République,
après avis de la direction de l'Action sanitaire et sociale du département dans
lequel est situé l'établissement ». Il est précisé que « ces deux décisions
résultant de deux examens séparés et concordants doivent établir que
l'intéressé n'est plus dangereux ni pour lui-même, ni pour autrui ».
Le législateur a-t-il voulu
réunir le juge, le préfet et le médecin « dans un mouchoir de poche»?
Ainsi
le risque est grand de voir la notion de dangerosité contribuer au maintien des
malades mentaux dits médico-légaux dans les hôpitaux psychiatriques, par-delà
la période de soins:
soit que les psychiatres
prennent la décision de sortie ou de maintien sans avoir de véritables moyens
pour assumer le contrôle de l'ordre public et ne se contentent pas de
donner un avis,
soit que les préfets
hésitent à mettre en liberté un sujet suspect de dangerosité pour des raisons
qui les inquiètent d'autant plus qu'ils ne les comprennent pas,
soit que les juges ne soient
tentés d'utiliser les CHS comme un milieu carcéral annexe lorsque les prisons
sont encombrées, et qui les dispense d'un jugement particulièrement délicat
lorsque les Cours sont déjà saturées.
Personne,
en définitive, n'est dans les fonctions de ses compétences. Notre étude tente de
proposer un changement dans la législation, destiné à améliorer la protection
du citoyen en matière de privation de liberté.
Il préconise que les
hospitalisations sous contrainte dans leur forme actuelle soient supprimées, en
demandant à la seule justice d'être « responsable» de toute forme de privation
de liberté afin que les droits de l'éventuel malade mental soient
ceux d'un citoyen ordinaire. Ceci ne signifie en rien que nous
préconisions le recours à l'internement judiciaire comme formule de prise en
charge sociale et/ou thérapeutique. Elle semble seulement plus juste que les
autres formes de privation de liberté que sont celles qui existent actuellement
en psychiatrie, dont les ravages nous semblent sensibles à la fois chez «
l'aliéné» et le reste du « socius ».
C'est volontairement que
nous n'avons pas parlé des possibilités thérapeutiques dans cet article,
possibilités que préserverait la procédure dite d' Habeas Corpus.
Seule la justice est capable
« d'entériner» un « acte» porteur de sens dans le débat qui confronte le sujet
au socius.
Dès lors, s'instaure pour le
sujet comme le « socius » d'ailleurs le champ d'une réflexion éthique
qui permet la mise en place possible d'une situation thérapeutique.
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relatif aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de
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