قارئة الفنجان

 

 

 

Titre de la chanson : « Qar’ïatou l fingân » : « La liseuse de marc de café »

Paroles : Nizar Qabbani (Syrien)

Chanteur : ‘abd el halim Hafiz  (Egyptien)

Musique : Mohammed al maouji (Egyptien)

Genre : maqam « nahâwand » [1]

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Traduction que j’ai établie à partir du blog de Laïla – (Merci) – je n’ai pas strictement repris infra toutes les répétitions modulées du maqam ; c’est juste un essai de traduction.

 

Trois mots à souligner :

 

1.      « qoulou’ou », ce mot non compris dans le blog de Lila, c’est le pluriel également possible de 2 mots de la même racine [2] ; homonymie et homographie exceptionnelles en arabe, mais équivalentes ici pour le sens :

*         Soit le pluriel de « qil’oun » =  « voiles d’un bateau ; voilure »

*         Soit le pluriel de  « qal’atoun » =  « citadelle, attache ferme, ancrage » mot très fréquent et souvent employé au sens figuré.

De toutes façons les sens de « sans voiles » ou « sans abri » sont à prendre au sens figuré et reviennent ici au même et signifient « perdu, désarmé, sans cesser, sans répit, sans abri » ; c’est pourquoi j’ai traduit « an tamdi » de « mâda, iamdi » qui veut dire « passer dans le temps » par « errer »

On retrouve souvent « qal’a[toun] » (« citadelle » au singulier cette fois) [le « t » ne se prononce que quand on fait la liaison avec le mot suivant] en Espagne dans les toponymes, mot importé au temps de « al Andalus » arabophone ; (et même en Amérique latine).

L’accent tonique est alors sur le dernier « a » comme dans « Alcala de Henares » où vécut Cervantès ; écrit toujours avec un « c » car les espagnols n’ont jamais prononcé le « » arabe ; ni le « ‘aïn » qui initie la seconde syllabe du mot.

 

Notons que les Espagnols lient toujours l’article arabe « al » au mot arabe comme font les Arabes, et en le faisant au besoin précéder de l’article espagnol, issu comme dans toutes les langues romanes du démonstratif latin « ille-illa-illud », et ils ont complètement raison car l’article arabe n’a ni le même sens ni la même fonction que l’article issu du démonstratif latin.

En arabe il n’y a pas de majuscules, mais les alphabets sont au départ le même [d’où les mots « alpha-bèt[a].. et « a-b-jadia…] » – bien que présentés sous des formes graphiques qui ont évolué différemment.

Les Français suppriment en général tout simplement l’article arabe en le remplaçant au besoin par l’article français, mais la nuance sémantique s’en trouve modifiée.

Enfin les langues romanes, comme l’arabe dans l’ensemble, sont toutes des langues analytiques par opposition aux langues synthétiques comme le latin, le grec ou l’allemand.

Mais la richesse de l’arabe est dans son expressivité théorique rationnellement permise, exprimée par exemple par la possibilité théorique d’utiliser toutes les flexions modélisées par de très riches paradigmes. Par exemple chaque verbe a en théorie 12 flexions possibles de sa racine fondamentale, toutes utilisables - on évite en pratique d’utiliser les absurdités sémantiques - à partir d’une racine fondamentale presque toujours trilitère, dont là-même le changement d’une seule des 3 lettres modifie sensiblement le sens qui reste voisin. Nulle part ailleurs de ce que je connais, le caractère anciennement onomatopéique de la langue ne m’apparaît plus probable. 

 

Abd el Halim chante en égyptien pour le « g » au lieu du « j », mais en classique pour le « q », qui est évidemment en arabe différent du « k » français.

Ce mot a une fonction centrale dans le texte :

La liseuse dit dans la chanson que le malheureux ne trouvera aucune « attache » ( les mots de cette famille ont souvent une très forte connotation de marine à voile : port d’attache, largage, appareillage, mettre les voiles, etc.) car il va durant toute sa vie parcourir le monde, en recherchant éperdument un amour qu’il ne trouvera pas, parce que cet amour, c’est son cœur même.

 

2.      Et en  arabe le mot employé ici est « qelb » qui a parmi tous les sens de « cœur », celui de « cœur moteur, anatomique », alors que le cœur du pur émoi est « fou’ad », très employé dans les chansons d’amour.

La poésie nous ramène aux conceptions anciennes du siège de l’âme et de la vie : le cœur.

Et c’est seulement à son retour, ravagé par sa recherche, qu’il découvrira que la femme de son amour n’a pas plus d’adresse qu’un filet de brume.

 

3.     Dès le départ de la chanson (et d’où découlera toute l’histoire) le difficile à traduire est dans le contenu figuré du sens du mot « ‘ala » (= « sur, au-dessus de ») en arabe : L’amour est « ‘alaïhi » sur lui, au-dessus de lui, comme une contrainte dont il est tragiquement le jouet, d’où l’effroi de la liseuse.

 

4.      « La liseuse de marc de café » : Mot à mot : « la liseuse de la tasse » Elle prédit l’avenir en lisant dans le marc de café qu’elle a renversé.

 

5.      Pour qui veut en trouver plus sur le web : En français voir aussi : « Qâ’riat » sans le « ou » ; Et « finjân » avec « j » au lieu de « g » ; En effet, on trouve très peu de choses concernant cette magnifique chanson sur le web. En arabe, davantage d’entrées, par auteur, chanteur, musicien ou paroles, mais sans traductions.

 

 

 « La liseuse de marc de café »

 

1976

« Qar’ïatou l fingân » .

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١٩٧٦

 

Elle s’assit, elle s’assit

Galasat  galasat

جَلَسَت جَلَسَت

Elle s’assit, l’effroi dans le regard [3]

Galasat wa l khaoufou  bi aïnaïha

جَلَسَت وَالْخُوْفُ بِعَيْنَيْهَا

Et contempla la tasse renversée

Tata-ammalo fingânî l makloub

تَــتْأَمَّلُ فِنْجَانِ الْمَقْلُوب

Elle lui dit : « Oh mon fils ne t’attriste pas »

Qalat ya waladî la tahzan

قَالَت  يَـــا وَلَدِي لَا تَـحْزَن

Elle lui dit : « Oh mon fils ne t’attriste pas :

Qalat ya waladî la tahzan

قَالَت  يـــا ولدي لَا تَـحْزَن

« L’amour est sur toi »,  c’est ce qui est écrit  

« El houbbou alaïka houwa l maktoub »

« ألحُبُّ عَلَيْكَ هُوَ الْمَكْتُوب »

 mon fils

Ya waladî

يـــــا ولـــدي

« L’amour est sur toi »,  c’est ce qui est écrit. 

« El houbbou alaïka houwa l maktoub »

« ألحُبُّ عَلَيْكَ هُوَ الْمَكْتُوب »

Et il meurt en martyr

Ya waladî, qad mata chahidane

يـــــا ولـــدي قَدْ مَاتَ شَهِيداً

Celui qui meurt pour l’être aimé.

Man mata feda-an li l mahboub

مَنْ مَاتَ فِداءً لِالمَحْـبُوبْ

J’ai vu

Basartou

 بَصَرْتُ

J’ai vu et j’ai prédit beaucoup

Basartou wa naggamtou kathiran

     بَصَرْتُ وَ نَجَّمْتُ كَثِيراً

 Mais je n’ai jamais lu

Lakinئئ lam aqra abadane

لَكِنيِ لَمْ أَقْرَأ أَبَداً

 

Une tasse qui ressemble à la tienne.

Finganane youshbihou finganak

فِنْجَاناً يُشْبِهُ فِنْجَانَكْ

J’ai vu

Basartou

 بَصَرْتُ

J’ai lu et j’ai prédit beaucoup

Basartou wa naggamtou kathiran

 بَصَرْتُ وَنَجَّمْتُ كَثِيراً

Mais je n’ai jamais connu

Lakinni lam a’rif abadane

لَكِنيِ لَمْ أَعْرِفْ أَبَداً يَا وَلَدِي

De chagrin qui égale à ton chagrin.

Ahzanane toushbihou ahzânak

أَحْزَاناً تُشْبِهُ أَحْزَانَك

Ton destin sera d’errer à jamais

Makdourouka an tamdi abadane

مَقْدُورُكَ أَنْ تَمْضِي أبَداً

Sans abri dans l’océan de l’amour

Fi bahri el houbbi bi ghaïri qoulou’

 فِي بَحْرِ الْحُب بِغَيْرِ قُلُوعِ

Et cet état durera toute ta vie.

Wa takounou hayatouka toula l omri

وَ تَكُونُ حَيَاتُكَ طُول العمْرِ

Toute ta vie sera un livre de larmes.

Toula l omri kitaba doumou’

طُول العمْرِ كتَبَ دُمُوِعِ

Ton destin sera de rester emprisonné

Makdourouka an tabqa masgounan

مَقْدُورُكَ أَن تَبقىَ مَسْجُوناً

Entre l’eau et le feu.

Baïna l ma-i wa baïna n nâr

بَيْنَ الْمَاءِ و بَيْنَ النَّار

Et en dépit de toutes les brûlures

Fa bi raghmi gami’a hara-ïq

فَ بِرَغْمِ جِميعة حَرائِقه

Et en dépit de toutes les douleurs

Wa bi raghmi gami’a sawa-ï

وَ بِرَعْمِ جِميعة سوابقه

Et en dépit de la tristesse qui nous habite

Wa bi raghmi l hozni sakin finâ  ه

وَ بِرَعْمِ الْحُزْنِ سَكِن فِينَا

La nuit, le jour

Layla nahar

لَيْلَ نَهَارْ

Malgré le vent

Wa bi raghmi r rîh

وَ بِرَغْمِ الرِّيح

Malgré le temps, la pluie et les tempêtes

Wa bi raghmi l gawi l matari wa l i’sâr

وَ بِرَغْمِ الْجَوِّ الماَطَرِ و الإعصار

L’amour restera mon fils

El houbbou sayabqa ya waladî.

أَلْحُبُّ سَيَّبقىَ يا ولدي

Le plus doux des destins

Ahla al aqdar

أحْلَا الْأَقْدَار

Le plus doux des destins

Ahla al aqdar

أحْلَا الْأَقْدَار

Mon fils.

Ya waladî

 يَـــا وَلَدِي...

(Music Interlude 2)

Dans ta vie mon fils, il y a une femme :

Bi hayatika ya waladî, imra-atoun

بحَيَاتِكَ يَا وَلَدِي امْرَأَةٌ

Ses yeux - gloire au Seigneur

Aïnaha, sobhana l ma’boud

عَيْنَاهَا، سُبْحَانَ الْمَعْبُود

Sa bouche est dessinée comme une grappe de raisin

Famouha marsoumoun ka l ‘ounqoud

فَمُهَا مَرْسُومٌ كَالْعُنْقُود

Son rire est mélodie  et  fleurs

Dahkatouha anghamoun wa wouroud

ضَحْكَتُهَا أنغام وَ وُرُود

Et une chevelure celle d’une gitane folle

Wa sha’arou el ghagarî ou l magnoun

وَ الشَّعَرِ الِغَجَرِيوُ الْمَجْنُون

Parcourant le monde entier.

Yousafirou fi kolli d dounia.

يُسَفِرُ فِي كُلِّ الدُّنْيَا

Surgira une femme, mon fils :

qad taghdou mraatoun, ya waladî

قَدْ تغدو اَمْرَأَةٌ يا ولدي

Ton cœur l’aimera.

Ahwaha al qalb

يهواها الْقَلْب

Tel est le monde d’ici-bas.

Hiya addounia

هُي أَلدُنْيَ

(Lila écrit : C’est un passage qu’il m’arrive de fredonner aujourd’hui encore, la rime est intraduisible, on atteint des sommets et j’aurais beau être fidèle au texte original je ne pourrai jamais en rendre la beauté ! Les 3 messieurs responsables de ce chef d’œuvre –le poète, le compositeur et le chanteur- se sont tout simplement surpassés et sont devenus inimitables. Ce qui suit encore à propos de la dulcinée dans son palais et de ce qui attend celui qui chercherait à la libérer est très beau aussi.)

Mais ton ciel est pluvieux

Lakinna samaaka momtiratoun

لَكِنَّ سَمَاءكَ مُمْطِرَةٌ

Et ton chemin est fermé, fermé.

Wa tariqouka masdoudoun masdoud

وَ طَرِيقِكَ مَسْدُودٌ... مَسْدُود

Et l’amour de ton cœur, mon fils

Fahabibatou qalbika, ya waladî

فَحَبِيبَةُ قَلْبِكَ... يا ولدي

Est endormie dans un palais fermé.

Na-ïmatoun fi kasrin marsoud

 نائمة في قصرٍ مرصود

Celui qui entre dans sa chambre

Man yad-khoulou hogrataha

من يدخل حجرتها

Celui qui demande sa main

Man yatlobou yadaha

من يطلب يدها

Celui qui approche le mur de son jardin

Man yadnou min souri hadikatiha

من يدنو من سور حديقتها

Qui tente de dénouer ses nattes

Man hawala fakka dafa-ïriha

من حاول فكّ ضفائرها

Qui tente de dénouer ses nattes,

Man hawala fakka dafa-ïriha

من حاول فكّ ضفائرها

Mon fils,

Ya waladî

يا ولدي

Est perdu.

Mafqoudoun

مفقودٌ

Perdu !

Mafqoudoun

مفقودٌ

Perdu !

Mafqoud

مفقود

Oh mon fils, oh mon fils !

Ya waladi, ya waladi

يا ولدي يا ولدي

Music Interlude 3

Là ça devient très triste et philosophique

Tu la rechercheras mon fils

Satoufatichou anha ya waladî

ستفتِّش عنها يا ولدي

Dans tous les endroits

Fi koulli makan

في كل مكان

Et la demanderas aux vagues de l’océan

Wa satasa-alou anhaa maouga el bahr

وَ سَتَسْأَلُ أَنْهَا مَوْجَ الْبَحْر

Et tu demanderas à l’écume des mers

Wa tasa-alo faïrouza sh shoutan

وَ تَسْأَلُ فَيْرُوز الشطآن

Et tu parcourras des océans et des océans

Wa tagoubou biharan wa biharan

وَ تَجُوبُ بحاراً وبحارا

Et tes larmes couleront et formeront des rivières

Wa tafidou doumou-oka anharan

وَ تَفِضُّ دُمُوعُكَ أَنْهَارَا

Et tu parcourras des mers et des mers

Wa tagoubou biharan wa biharan

وَ تَجُوبُ بحْرًا وَ بحْرَ

Et tes larmes couleront et formeront des rivières

Wa tafidouo doumou-oka anharan

وَ تَفيِض دُمُوعُكَ أَنْهَاراً

Et ton chagrin grandira

Wa sayakboro houznoka

وَ سَيَكْبُرُ حُزْنُكَ

Jusqu’à ce qu’il devienne une forêt.

Hatta yousbihou ashgaran

حتى يصبح أشجاراً

(Music Interlude 4)

Et un jour tu reviendras mon fils

Wa satarjiou yawmaan, ya waladî

وسترجع يوماً يا ولدي

Brisé, le visage défait

Mahzouman, maksoura l wigdan

مهزوماً مكسور الوجدان

Et tu sauras après le périple de ta vie

Wa sata-arifou baada rahili el omr

وَ سَتَعْرِفُ بَعْد  رحيل  الْعُمْر

Que tu poursuivais un fil de fumée  (illusion)

Bi innaka kounta toutaridou khaïta dokhan

 بأَنَّكَ كُنْت تُطَرِدُ خَيْطَ دُخّان

Car l’aimée c’est ton cœur.

Fa habibatou qalbika

فَحَبِيبَةُ قَلْبِكَ...

Elle n’a pas de terre

Laysa laha ardoun

لَيْسَ لَهَا أَرْضٌ

pas de patrie, pas d’adresse.

Aw watanoun aw ounwan

أَوْ وَطَنٌ أَوَّ عُنْوَان

Oh comme il t’est difficile d’aimer une femme !

(an ta ou anta : deux écoutes possibles)

Ma asa-aba an tahwa amra-atan

مَا أَصْعَبَ ان تهوى امْرَأَةً

Mon fils, elle n’a pas adresse

Ya walady, laysa laha onwaan

يا ولدي  لَيْسَ لَهَا عُنْوَانْ

Elle n’a pas adresse !

Laïsa laha ounwan

لَيْسَ لَهَا عُنْوَان

D’adresse !

Ounwan

عُنْوَان

Oh mon fils !

Ya waladî

يا ولدي

Mon fils ! »

 Ya waladî

يا ولدي

 

Notes de bas de page



[1] « Maqam nahawand » :

Le « Nahavend » est une province persane : Les types de « maqamat » sont très nombreux et portent souvent des noms des provinces persanes car là est leur origine.

Les « maqamat » sont des styles de musique savante, incluant beaucoup de paramètres. (Voit wikipedia)

Les autres types de musique du monde arabe, même traditionnelle ne portent pas le nom de « maqam ».

On parle par exemple de « musique andalouse », de « musique marocaine gnawi » (musiciens du Ghana) etc.  

 

[2] « Qoulou’ » :

On lit dans le très bon dictionnaire de Daniel Reig :

 

 

[3] L’arabe dit classique : est une langue mélodieusement magnifique à entendre, et d’une extraordinaire subtilité.

Autrement dit cette langue est strictement intraduisible en français ; On peut s’y essayer, mais il faudrait 2 ou 3 textes français pour interpréter un seul texte arabe…

 

Ici, la peur n’est pas « dans » ses yeux », ce qui se dirait « fi aïnaha », alors que « bi aïnaïha » signifie « avec ses yeux » ou « accompagnant ses yeux »

C’est pourquoi j’ai choisi « regard » car il serait trop maladroit de dire en français « la peur avec ses yeux » (sous-entendu « exprimant » mais de l’écrire en ferait un texte beaucoup plus lourd que le texte arabe ).

 

Finalement dans une traduction, il faut non seulement traduire ce qui est écrit, mais aussi penser à ce qui aurait pu être écrit, mais que l’auteur n’a pas choisi.

Mais là on entre aussi dans la subjectivité du traducteur qui se traduit lui-même.