Ibn Khaldoun (1332-1406) : Il
sera intéressant de rappeler quelques unes des conclusions médicales tirées
il y a plus de 500 ans par Ibn Khaldoun de l'observation des populations arabes et
berbères – dans
son ouvrage « Al Muqaddima (traduit
ici par Vincent Monteil; édition Sindbad;
collection « Thesaurus ») Ainsi les maladies – mais
Ibn Khaldoun traite d’un sujet beaucoup plus vaste puisqu’il aura été « le premier sociologue »
- dépendraient surtout des modes de vie et des institutions des peuples; Tout
comme - plus généralement pour Ibn Khaldoun - la naissance, la
croissance et la mort des civilisations
dépendent pour une grande part de l'évolution endogène des peuples, suivant
leur installation dans les contrées qu’ils conquirent (sédentarisation,
décadence, etc.). Plus
de 1500 ans avant lui, en médecine, Hippocrate de Cos, considère
les maladies comme le résultat d'un déséquilibre (théories des 4 éléments) dans
un écosystème (Traité « Ta physsa ; Les vents »),
et ignore en presque totalité le poids de la génétique chez l'être humain –
qu'il
rencontre pourtant chez les chèvres (tendance à l'épilepsie,
cette maladie qu'il a été le premier à désacraliser et
ainsi nommer) Citons - d'Ibn Khaldoun
(1332-1406) (dans son fameux « La médecine, métier citadin[1] ») : pp.
651-654) : « .... C'est ainsi que
le sang purifié donne naissance à une vapeur chaude et humide qui entretient
les « esprits animaux » (« rûh hayawâny » REPERAGES
SOMMAIRES : De – 1) « arouah hayawanin » de Ibn Khaldoun - aux 2) « esprits animaux » de René
Descartes (1596-1650) - et à 3) « l’oxygène » d’Antoine de
Lavoisier (1743-1794) : 1.
Notons que : 1) Le mot « hayawân = animal » en arabe est un dérivé de « haya = la vie » qui a la même connotation matérielle qu'en
français (et Hawwa signifie l’Eve de la Torah) 2) et « rouh, pl. arouah » signifie « esprit » dans les mêmes sens qu’en français dans spirituel qui vient du latin « spiritus ». « Spiritus » est un second participe passé de « spirare, spiro, -as, -avi, -atum, -are = souffler », refait à partir de « spiratus » sur le modèle de « halitus » de « halere = haler » (voir Arnoult et Meillet : clic), ce qui lui confère son sens éthéré et
mystérieux. C’est d'ailleurs par « rouh » qu’est désigné le Saint Esprit du christianisme (sans l'adjectif Saint) dans la « sourate Mariam du Coran (VII ème siècle après JC) » et « rih signifie
vent » « Les esprits animaux » sont donc une conjonction
sémantiquement précise de ces deux essences, matérielle et spirituelle, et
dériverait de l’observation que la respiration est nécessaire à la vie, sans
que le sens n’ait pourtant d'implication religieuse précise, sinon
métaphysique. La continuité sémantique des mots « animus (masculin), anima (féminin), etc. » du latin, ou « animé, animal, âme, etc. » du français, n’existent pas dans cette
idée des esprits animaux. 2.
Le concept « d'esprits
animaux » sera repris identique, après lui, par René Descartes avec
les mêmes termes correspondants du
français. En fait, on en trouve une conception déjà
très élaborée et bien antérieure chez Galien (129 –
200) in : Œuvres anatomiques,
physiologiques et médicales, traduites par C. Daremberg en
1854 : Pour Galien, les « esprits vitaux »
du sang partent du cœur, pour devenir « esprits animaux »
dans le rete mirabile, puis gagner le IV ème ventricule de l’encéphale, et redescendre
par les nerfs qui en
sont issus pour « animer le corps » (Nous
reprenons ici la retranscription de M.Jouvet
in : Le sommeil, la conscience et l’éveil ;
Ed. Odile Jacob ; mars 2016) Mais il me semble bien
que les vocabulaires latin et français puissent tendre vers une
certaine confusion – qui n’est pas présente chez Descartes – pour qui
« l’âme est indivisible » -
par les glissements sémantiques dangereux de « animé »
à « animal » et à « âme » –
le réservoir des « esprits animaux » devenant chez Descartes,
« l’épiphyse ». 3.
Il est intéressant de relire Galien (129-201) en grec,
antérieur à Ibn Khaloun.
Bien
qu’exerçant à Rome, Galien était Grec et écrivait en grec. En grec, l’âme
spirituelle se disait comme aujourd’hui encore « psychè »,
mot qui ne prête à aucune confusion avec le mouvement [2].
Le médecin grec Galien attribuait la vie aux battements du cœur. Mais c’était déjà manifestement une
explication insuffisante, car on a observé depuis toujours que le cœur du
fœtus, facilement audible dès le 4 ème mois de la grossesse, ne bat que si le
fœtus est dans ses enveloppes dans un utérus vivant, ou après la naissance,
après que soit établie la respiration pulmonaire, au moment du premier cri. 4.
Finalement notre explication biologique actuelle a été donnée
par la découverte de l’oxygène de l’air par Lavoisier (guillotiné
en 1794) : C’est que la respiration
est un phénomène cellulaire : Dès la fécondation, la cellule
embryonnaire nommée zygote (joug, double) c’est à dire ovule
fécondé, qui deviendra placenta et fœtus, se nourrit d’oxygène :
L’oxygène de l’air est apporté au fœtus par le sang de la mère au placenta du
fœtus qui le transmet au sang du fœtus qui le distribue aux cellules du
fœtus. Ce sont donc les cellules vivantes qui respirent. Ce terme, qui
signifie re-spirer, re-souffler, n’est plus, évidemment, que
métaphorique au niveau cellulaire, mais on continue de l’utiliser,
métaphoriquement.] Voyons maintenant le
problème des maladies : [De ce
point de vue là, pour Ibn Khaldoun, il
n'y a pas de différence entre « bédouin arabe » et « bédouin
berbère » : l'originalité de l'ouvrage est justement de tirer de
l'histoire des lois générales : et dans les 2 cas, c'est la vie rude qui
entretient « l'esprit de corps » ( العصبيّة ; al‘asabiya) qui fait la force de « l'homme du désert »] Comme ils ont peu de
grains, ils ont souvent faim. La faim leur est même si familière, qu'elle
leur est devenue naturelle. |
[1] Note sur les
connaissances médicales d'Ibn Khaldoun (mort au Caire en 1406) :
Elles impliquent un contexte:
Ibn Khaldoun raisonnait à partir de la théorie des 4 ou 5 éléments (terre,
air, eau, feu, + ou - éther) dont les arabes avaient hérité des Grecs
(califat de Damas) et des Persans (califat de Bagdad) (et par eux de l’Inde,
qui considérait 5 éléments associés aux sens : la
terre ó l'odorat ; l 'air ó toucher ; le feu ó la vue ; l'eau ó goût ; l’'éther ó l'ouïe.
Notons que la question de l’éther
(« l’air d’en haut ») n’a fait que changer d’appréhension – en
passant par la « quinte essence »- sans être vraiment comprise.
Cette même théorie, qui avait déjà plus de 2000 ans
d'age, avait aussi cours en Europe depuis sa vulgarisation par
Aristote
Par contre, au XIII ème siècle à Damas, Ibn Nafis
avait découvert la « petite circulation du sang (=
circulation pulmonaire » = « ventricule droit du coeur =>
poumons => oreillette gauche du cœur ») impliquant l'absence de communication
inter-ventriculaire, connaissance qui ne parviendra en Europe qu'au
milieu du XV ème siècle, par Miguel Servet (1511-1553).
Les sources du savoir de ce médecin aragonais, restent encore inconnues.
Calvin le livra à la Sainte Inquisition, parce que, bien
qu'admettant comme lui la « Prédestination », il refusait
d'admettre la « Sainte Trinité ».
L'Inquisition le brûla sur un bûcher le 27 octobre 1553 à Genève.
Ses affirmations, anatomiques d'un côté, et d'autre part religieuses proches à
certains égards de l'enseignement coranique, sont possiblement liées, et
mériteraient une étude qui semble ne jamais avoir été faite.
Ibn Khaldoun connaissait un rôle de la fonction cardio-respiratoire,
encore inconnu en Europe, mais, ignorant l'existence de l'oxygène -
connaissance que l'on ne devra que bien plus tard à Lavoisier (1743-1794)
- il pensait que l'air avait pour fonction le refroidissement du corps.
Les investigations sur le cœur ont été l'objet de
retards en chrétienté, du fait de la sacralisation du corps et de
l’interdiction par l’Eglise de la dissection des morts, le cœur étant de plus
supposé plus ou moins canoniquement être le support de l'âme.
Mais qu'en a-t-il été exactement à Damas?
Quoiqu'il en soit, l'intelligence, ou plutôt « l’idée »
(« fikr ») qui n'a jamais été confondue avec « l'âme »
était placée par Ibn Khaldoun dans la partie centrale du cerveau,
c'est-à-dire dans les ventricules cérébraux et les régions
péri-ventriculaires.
Notons enfin - pour souligner l'avancement des chimistes arabes en ce
temps-là - que le mot « al qali » d'où nous vient le mot
« alcalin » en opposition à « acide »,
désigne en arabe la « soude naturelle »
Mais lorsque ibn Khaldoun parle de la cuisson des aliments dans
l'estomac, il ne signale pas le rôle de l'acidité gastrique, et ne pense
qu'à la chaleur pure.
Comme Hippocrate (460-377 Av. J.C.) il avait aussi pressenti
l'importance de la qualité de l'air à tous les niveaux de la santé (microbes,
épidémies) et se plaint de la pollution des villes : Qu'eut-il dit
s'il avait connu les fumées de nos addictions au tabac, de nos moteurs à
explosion, de nos chauffages au fuel...!
Notons que, si Ibn Khaldoun est plutôt « pragmatique »
(il a été 6 fois « cadi ») particulièrement au sens
sociologique du terme (on en fait « le premier sociologue ») –
le leit-motiv du livre cité ici est l’explication du « Pourquoi ce
sont toujours les clans les plus soudés (par « al ‘asabia = l’esprit de
corps ») et rudes venus du désert qui viennent détrôner les dynasties
établies des villes, en place, plus raffinées, mais trop ramollies. En
particulier, il est opposé à l’acceptation des comportement sexuels « contre
nature ».
Mais c’est aussi un livre d’histoire – au sens moderne
– de réflexion religieuse et de philosophie.
Il n’est pas aristotélicien au sens
philosophique « d’apôtre de la raison » ; Il n’est pas
« rationnaliste » au sens des « mou’tazilites »
(mouvement rationaliste apôtre du « libre arbitre » développé
au temps du calife « Al Mamoun » à Bagdad) : Pour
lui « la logique contient des choses contraires aux lois
religieuses et à leur sens évident » auxquelles il convient de donner
la préférence.
[2] « Corps
animé » :
En français, pour nous, l’idée de « mouvement
du corps » est consubstantielle avec l’expression « corps
animé » et il reste très particulier que ce soit une « âme »
qui anime un corps, car le français fait mal la différence entre « animus »
et « anima ».
En latin « animus » est mis en
opposition avec « corpus » alors que « anima »
traduit le grec « psychè »
Galien, Ibn
Khaldoun et Descartes rassemblent les vocabulaires, ce qui est
d’autant plus surprenant que Descartes est considéré comme un « philosophe
dualiste » par excellence.
« Anima »
et « psychè » contiennent tous les deux l’idée de souffle,
(car l’air a toujours et partout été reconnu comme étant le premier principe
vital) mais les séparations ne sont pas rigides et « animus »
a d’ailleurs un correspondant grec avec « anemos »
qui signifie le « vent »
(Le français contient pour moitié du grec (surtout
pour la construction analytique et les concepts innovants) et pour moitié du
latin.
Il en résulte des doublets qui ne se superposent pas)
Il y a beaucoup des doublets indo-européens originels
dont une de leurs moitiés est passée dans le grec et l’autre dans le
latin :
Or, comme on le voit bien dans la séparation du
doublet du « feu » - exprimé en indien par le doublet du
« dieu Agni et de son Avatar terrestre » - deviennent « ignis »
en latin et « pyr - pyros » en grec :
Chez les latins les dieux étaient partout présents
mais c’était le contraire chez les grecs.
D’autre part, vers 300 Av. J.C. la Grèce
subjugua l’Egypte pharaonique, après avoir subi son influence pendant
plus d’un millénaire, et tenta lentement de faire entrer ses concepts religieux
dans sa langue : Il lui fut alors difficile de traduire les instances de
l’âme égyptienne (le « Ka », l'ombre, le double, et le « Ba »
l’âme immortelle représentée par un petit oiseau) c’est le mot « psychi »
(initialement « la vie » en grec) qui les subsuma grosso
modo.
Puis Rome subjugua à son tour la Grèce
vers 146 Av. J.C. après plus de 50 ans de luttes, mais adopta la plupart
de ses catégories, et subjugua enfin l’Egypte (vers 30 Av. J.C.)
provoquant ainsi la naissance et le développement du christianisme, religion
qu’elle adoptera 300 ans plus tard.
L’Europe,
est donc redevable d’une très longue filiation égyptienne (mais les échanges se
firent dans les 2 sens).
Tout ce vocabulaire religieux fait donc maintenant
partie de notre « boite à outils » linguistique, mais révèle
aussi beaucoup de confusions entre des mots ou des conceptions, impossibles à
mettre en rapports ou en parallèles car les catégories ne se superposent jamais
- fait qui laisse entrevoir une véritable impossibilité à « mettre en
mots » toutes les choses de ce monde.
Ainsi, bon nombre des sujets de nos débats actuels
découlent de collusions qui trouvent ici leur origine.
La notion « d’individu », ignorée de la Grèce Antique (chez Homère)
apparaît par le truchement du religieux dans l’Egypte pharaonique avec
le jugement céleste de l’âme individuelle.
Elle sera
reprise par le christianisme puis par l’islam (dans le Coran, pesée
de la balance de Dieu sensible jusqu’au poids d’un grain de moutarde)
Notre notion « d’individualisation
civile » en découle manifestement (l’acte de naissance
ayant remplacé l’acte de baptême)
En grec moderne
« l’individu » nouvellement apparu se dit « to
atomo » (« l’atome »)
qui n’a rien à voir avec l’atome de Rutherford (1911) mais bien avec
l’expression démocritéenne « d’'idée atomique » (Démocrite
460-370 Av. J;C.) – exprimant pour
la première fois l’idée essentielle des particules de matière.