____________________________________________________
LA RESPONSABILITE AU V ème SIECLE ATHENIEN
" Psychologie Médicale ", 1982,
14, 12: pp1835-1838.
Psychiatre,
Médecin-Adjoint, (Service du docteur GENTIS, Médecin-Chef de Service)
Centre Hospitalier
Spécialisé, 1, route de Chanteau B.P. 16 - 45402 FLEURY-LES-AUBRAIS Cedex.
____________________________________________
Résumés:
Ø
Le concept de responsabilité
est essentiel à la psychiatrie. Nous avons tenté d'en saisir l'émergence au
Vème siècle avant Jésus-Christ chez les Athéniens. Ce concept semble avoir été
un corollaire de l'avènement de la démocratie. L'individu est alors reconnu
comme un « sujet de droit ». Cependant, la catégorie
psychologique du « moi » n'apparaît pas encore dans sa
complexité et « la contrainte intérieure » ne sera pas encore aperçue
à cette époque.
MOTS-CLÉS:
Naissance de la Responsabilité - Le moi dans l'Antiquité.
Ø
The concept of responsibility is today a main concept in psychiatry.
We have endeavoured to capture its emergence in the Ancient Greece (V th century
B.C.). According to our view, this concept appears being a corollary
of the advent of Democracy: Then the individual human being appears recognized as
a subject towards the law. However, the psychological characteristics
of the “ego" are not yet fully developed in their complexity and in Old
Antiquity the internal constraint had not been mentioned.
KEY-WORDS:
Birth of Responsibility - The “self” in Antiquity.
____________________________________________
Texte :
Le citoyen de notre époque est un homme responsable
de ses actes. Lorsqu'il en est autrement, nous faisons appel à
« des troubles mentaux ».
Le concept de « responsabilité» est donc essentiel à la
psychiatrie. Sa naissance n'a certes pas eu lieu d'un
seul coup. Elle est le fruit d'une évolution dont on peut situer le début au
Vème siècle avant J.C. en Grèce.
C'est aussi cette époque qui connut l'apogée du genre de la
« tragédie», illustré en particulier par la
pièce « Œdipe-Tyran » de Sophocle dont FREUD a tiré
le « complexe d'Oedipe". Cette simultanéité d'émergence
nous a amenés à considérer les articulations intellectuelles qui unissent les
deux concepts, de « tragédie » et de « responsabilité ».
La tragédie est un texte dans un contexte, deux sortes de
discours qui ont interféré tout au long du Vème siècle. Le débat de l'acteur
avec le chœur est le pendant du débat du citoyen avec la démocratie, ses
assemblées, ses tribunaux, etc.
On sait qu'historiquement, le « Vème siècle
athénien » marque l'avènement de la « démocratie » dans le
monde, et ce n'est certainement pas un hasard si le genre de la
« tragédie » a connu son apogée à ce moment-là.
Ce n'est pas un hasard si c'est à ce moment-là que l'
« Oidipous Turannos » de Sophocle unit les mythes du
« tyran » (« turannos » )
et du « bouc-émissaire » (« pharmacos »
) , « deux pendants » anti-nomiques l’un de l’autre, deux faces du
même, préparant aussi la conception du christianisme, dans la symbolique de la
mise à mort du « fils de Dieu sauveur », chez un
peuple qui sera déjà hellénisé au moment de l'occupation romaine.
Il nous
semble nécessaire de faire un rappel historique de la longue civilisation
grecque pour mieux comprendre « l'évolution du concept de
responsabilité ».
RAPPEL
HISTORIQUE :
I– « Les
siècles obscurs.» précèdent la civilisation grecque proprement dite
1 - Vers 2200-2100 arrive dans la péninsule qui va devenir l'Hellade
un premier lot de groupes indo-européens.
On distingue trois cultures
nettes, celle de la Grèce, celle des Cyclades
et celle de la Crête.
La Crête était le lieu d'une
très brillante civilisation monarchique.
C'est le Bronze ancien et
moyen. On enterre les morts mais on croit à la survivance de
la « psychè »
On adore les déesses
mères ou chtoniennes.
L'écriture apparaît en linéaires
A
2 - Vers 1500-1200, c'est le Bronze récent.
En Grèce, la civilisation mycénienne
est une civilisation de Palais. C'est une monarchie très bureaucratique et très
centralisée. L'écriture apparaît en linéaires B.
Contrairement au linéaires
A son seul rôle est de tenir des comptes. Puis le fer apparaît, c'est
l'époque des invasions de groupes doriens qui mettent en place le peuplement
définitif. Ils apportent avec eux leurs dieux olympiens et
leurs coutumes patriarcales.
Homère parlera de cette
période:
L' « oikos
» c'est le palais. La civilisation est caractérisée par les « nomoi
» ou « lois »
(on retrouve ces deux mots
dans le français « éco-nomie », c’est à dire « les lois du
palais »),
et l' « agon »
qui est sur le plan militaire le combat et sur le plan pacifique la rivalité
politique.
.
Il - La civilisation grecque proprement dite va du Xème siècle au IIIème siècle
sans interruption : On distingue
trois périodes :
1 - La période
archaïque qui va du XIe au IXe siècle.
Elle est encore monarchique,
faite d'une aristocratie de cavaliers, puis d'une aristocratie
d' « hoplites ». C'est à la fin de cette période qu'apparaît
l' « Agora ».
2 - La période
classique va du VIIIème au IVème siècle qui sera un siècle de crise.
L'alphabet phénicien est
introduit au VIIIe siècle et servira à écrire des décrets, etc... son rôle
n'est plus limité à la .seule tenue de comptes. Cette période qui sera celle de
la « démo-cratie » ( = « pouvoir du
peuple » ) est aussi la période des « polis» régies par
les « nomoi », lois écrites, dont les premières sont datées de 650 et
624.
Les « polis »
sont des unités autonomes « non- étatisées » dont le jeu des
alliances fera la force. La polis est une triple unité :
a) d'abord une unité
territoriale, (« dèmos ») comprenant plusieurs villes,
villages et campagnes.
b) c'est une unité de
peuplement (« ethnos ») dont le citoyen garde la citoyenneté
(« politès ») indépendamment de son lieu de naissance et même s'il
quitte la cité (« iso-nomie » du citoyen).
c) c'est une unité de
« Nomoi » enfin, c'est-à-dire de lois (« nomos »),
de coutumes et de cultes, propres à chaque unité.
Au début de cette période, Hésiode,
(après son voyage en Egypte qui l’aura fortement inspiré) écrit une « théo-gonie »
( = « actes des dieux » qui n'est plus « chtonienne » mais
« olympienne » faite essentiellement de dieux masculins. La
civilisation patriarcale l'emporte définitivement à ce moment-là.
A la guerre, la technique
change: chaque « l’hoplite » est protégé par le bouclier de son
voisin ( on retrouve là encore quelque chose proche de « l'isonomie du
citoyen » ).
Les jeux olympiques sont
officiellement institutionnalisés en 776 ..
En 750 commencent les
premières « colonisations ».
A la fin du VIe siècle
seulement, la notion « d'esclave » ( = « doulos » )
devient claire. La Grèce des cités est à peu près fixée. La Grèce connaîtra les
« guerres médiques » contre « les Perses » puis la
« guerre du Péloponèse » au Ve siècle qui se soldera par la victoire
de Sparte sur Athènes.
En 532, paraît la
première tragédie.
En 420, paraît « Œdipe
Tyran » de Sophocle . (en fait ce
respect de la traduction du titre « Oidipous Turannos »
donné à la piece par Sophocle est d’une importance capitale pour comprendre
l’apport et le message nouveau de Sophocle comme nous l’expliquons dans notre
publication, (inédite à ce jour) « Oidipous Turannos ».
En 406, meurt Sophocle.
Les trois tragiques auront été
dans l'ordre chronologique : Eschyle, Sophocle et Euripide.
Platon (qui avait été étudiant en Egypte) est
contemporain de « l'apogée tragique » en littérature. Il est
monarchiste.
Il a décrit « la passion
de Socrate » (le déroulement de sa condamnation à mort par fidélité à la
justice qui aura certainement des échos dans le christianisme).
Le système de « la Cité
idéale » imaginé par Platon va extrêmement loin dans le « partage
social » et peut être considéré comme la première utopie communautaire,
influençant en cela tant le christianisme que le communisme.
Aristote (384-322), son disciple est du IVe siècle. Il prône la « démocrate »
pour les cités grecques. ( « comme les habitants sont peu nombreux,
ils peuvent se connaître entre eux et chacun sait pour qui il vote . En
revanche ce système n ‘est pas compatible avec les vastes empires orientaux qui
doivent être despotiques » ).
Mais cette démocratie est très
violente, écrase ou « ostracise » les
« différences » (Ainsi Alcibiade a été « ostracisé » dix
ans parce que trop dangereux par sa beauté et son intelligence ), ne
respecte aucun « droit de l’homme » n’existe que
pour les citoyens, dont ne font partie ni les « métèques »
(« meta-oicos = hors de la maison »), ni pour les esclaves,
ni pour les femmes.
Il écrira: « Est barbare
celui qui est fait pour être esclave », Et même : « L’esclave
est une machine vivante » tant il est vrai que l'Hellénisme est
une notion culturelle et non raciale.( « Barbaros » = onomatopée
linguistique signifiant « qui ne parle pas grec » )
Mais Philippe de
Macédoine soumet les grecs, mettant fin à la démocratie qui aura duré
un siècle, en même temps qu’à toutes les querelles internes, et c'est lalors
qu’apparaît « la ligue de Corinthe » signée en 338, qui amorce la
troisième période.
Alexandre le grand, fils de Philippe conquiert la Perse, l’Asie
mineure, l’Egypte, et deviendra « pharaon ».
3 - La période
hellénistique va de 336 à 31 avant J.C.
Elle est marquée d'abord par
les conquêtes d'Alexandre le Grand qui meurt en 323. C'est une période où la
culture grecque est florissante, inonde les région conquises. Bien que rien de
neuf ne soit plus produit, elle diffuse et se répand et une langue commune est
adoptée : « La koïnè »
Alexandrie d’Egypte aura la plus belle bibliothèque grecque du monde.
Le monde grec s'étend d'Arachosie d'Asie Mineure (soit Kandahar au Pakistan) à
Emporion (en Espagne) et de Ptolémais en Haute Egypte jusqu'à Olba aux bouches
du Dniepr.
Puis c'est la conquête romaine.
APPARITION
DES IDEES :
Tout bien sûr n'était pas synchrone dans un monde si vaste,
n'était-ce peut-être justement au Ve siècle, seule époque par exemple qui ait
vu la démocratie partout en même temps, même en Sicile, la « Grande-Grèce ».
Cependant, le Ve siècle par sa position dans le temps,
représente. un moment où les dieux anciens, les mythes, les légendes et les
rites n'étaient pas assez anciens pour être oubliés, mais suffisamment distants
pour pouvoir être critiqués, voire même rejetés, par l'avènement du
discours politique, le « logos ».
Le discours politique est un discours qui doit trancher par
« oui » ou par « non ».
Les choses ont certainement été plus complexes.
Ainsi Périclès, rapporte Plutarque,
« en étendant son manteau entre lui et le soleil déchargeait une
éclipse de sa signification irrationnelle, mais, malade, gardait l’amulette que
des femmes lui avaient suspendue au cou ».
Une des premières appréhensions de la recherche
archéologique est le « rituel funéraire ».
Il nous montre ici l'appréhension de la « catégorie
du double ».
Avant l'époque classique, on trouve l'inhumation et
parallèlement le rituel du « colossos ». Les
colossos étaient de petites statuettes, effigies que les grecs plantaient en
terre au loin des villes pour y « capter la psyché des morts ».
Le. héros, de son vivant, est monolithique, mais son double
surgit après sa mort.
A l’époque classique, apparaît
« l'incinération ». On ne croit plus à la vie de la psyché après la
mort; les colossos deviennent des statues géantes qui n'ont plus de rôle
magique. La catégorie du double passe maintenant dans l'homme lui-même de son
vivant. L'homme est intériorisé, ou mieux, il a une double existence terrestre,
l'une d'essence humaine et l'autre d'essence divine . Il est le sujet d'une
double « dikè », d'une « justice
divine », mythique et héroïque, en opposition avec la « dikè
humaine » juridique et politique. Et
c'est cette opposition que mettra en scène la tragédie. Mais cette double
essence du personnage nouveau n'a rien à voir avec notre catégorie mentale du
moi, nous y reviendrons.
Un psychanalyste pourrait pointer là la
« symbolisation de la mort » qui permet cette « récupération de
la psyché », du vivant du sujet.
Le
premier sens du mot « psuchè », chez Homère par exemple est la
« vie » mais, rien à voir avec « bios ». C’est
particuliérement la mystérieuse ou magique puchè des morts que l’on découvre
dans la « Nekia » de l’ « Odyssée ». Mais naturellement il
n’y a là que horreur et abomination, et aucun jugement.
Ce mot
deviendra à l’époque chrétienne l’équivalent du mot latin « anima »
traduit en français par « âme »
A l'époque classique donc, la mort passe du réel dans le
symbolique. Nous dirions même que « la mort symbolique du père », qui
est pour les psychanalystes la résolution du « complexe d'Oedipe »
est une condition de la démocratie : Pour ce , Sophocle change l'histoire
d'Oedipe par rapport aux versions antérieures du mythe (Cf.:
« l'Iliade » ) pour les nécessités du contexte mental du Vème siècle.
D'ailleurs, le Ve siècle est celui d'un « ordre au nom
des dieux pères » au lieu de l'ordre antérieur « au nom des déesses
mères ». Le Ve siècle est le siècle de la « génitalité dite
œdipienne » par excellence.
Avec Sophocle les Héllènes « ont appris à compter
jusqu'à trois et la triangulation ». C'est même Sophocle qui le
premier a mis sur scène (« orchestra ») le troisième personnage
acteur du théâtre.
Pour
nous, le statut. d'Oedipe est éclairé par notre connaissance de la tradition du
« pharmacos », par celle de
« l'ostracisme » de Clisthène (508), mais Oedipe n'est pas seulement
un « ostracisé » ou un « pharmacos », c'est un nouveau
personnage vivant dans un espace de réflexion lui permettant d'opposer les deux
« dikè » que nous venons de dire
Pour la
première fois peut-être les actes humains révèleront dans cet espace leur sens
véritable, ignorés jusqu'alors de ceux-là même qui les produisaient.
La tragédie est un texte dans un contexte. Elle a une
existence momentanée et historique. Elle interfère avec le « droit ».
Nous ne pouvons manquer d'être frappés par les rapports qu'elle entretient avec
lui. Elle tient un peu la même place pour les grecs par rapport à un droit
en train de se constituer que pour nous la psychiatrie par rapport à
un droit toujours insuffisant.
Au IVe siècle, la tragédie pourra s'éteindre, mais les
« nouvelles catégories mentales » qu'elle a fait naître et
même ses interrogations ne s'éteindront plus. Même la « naissance du
christianisme », même la découverte d'un très grand Dieu ne fera pas
disparaître ces catégories de la raison que l’époque homérique avec ses
théogonies avait au contraire ignorée.
Même s'il ne comprend pas le ressort tragique, ces
nouvelles catégories mentales seront énoncées par Aristote. Nous verrons
justement d'ailleurs qu'il n'arrive pas à des conclusions semblables aux nôtres
du XXe siècle, et c'est pourquoi nous ne pouvons pas l'écouter à l'aide de nos
catégories - pour nous si bien établies qu'elles en semblent naturelles, et
c’est aussi pour nous tout l’intérêt de remarquer qu’il n’y a pas « Une
seule » « mise en forme possible » de
la compréhension du monde, pas plus dans le temps que dans l’espace.
(Cf : Ibn Khaldoun : « Il n’y a pas de
fin au nombre des mondes, c’est l’unique qui n’existe pas » )
LES
CATEGORIES D’ARISTOTE :
Aristote nous transmet fidèlement les catégories en usage à
Athènes à son époque.
Mais il introduit aussi souvent un nouveau vocabulaire.
Bien connu car étudié durant tout le Moyen Age, disons un
mot des « catégories d Aristote » :
LES
PUISSANCES :
.
Mais la décision humaine est toujours « hèkon »
c'est-à-dire « de plein gré ».
Aristote place ici les actes
passionnels (qui seraient pour nous involontaires) qui sont également « hèkon »
= « de plein gré » car ils ne sont pas dus à une contrainte
extérieure qui engendrerait des actes « akon » =
« malgré soi » car Aristote ignore la contrainte intérieure.
Ces catégories ne sont pas « inventées» par Aristote.
Ainsi une « décision » est donc toujours « hèkon »,
« de plein gré ».
Mais Aristote a forgé le terme de « Pro-airesis »,
la « pro-décision » qui conduit toujours à l'action, « par
nous-mêmes » (« ta ephèmin »).
Et tout ce qui est de plein gré n'est pas toujours « proairesis »,
« décision avec souhait », « bouleusis ».
Il y a aussi ce qui est « hèkon» par
convoitise ( « epithumia ») ou par colère (« thumos »).
Il n'y a pas de conflit dû aux contraintes intérieures qui
n'existent pas; les seules contraintes sont extérieures (« akon »).
Pour Aristote, « la volonté », « le
choix ». n'existent pas au sens où nous l'entendons :
Nous dirons qu'Aristote fait une psychologie
« déterministe » voire « mécaniciste » : il ne fait à aucun
moment état d'une liberté psychologique.
Ainsi par exemple,
le « méchant » l'est par ignorance, et comme chacun est toujours
responsable de son ignorance, le méchant est toujours responsable à part
entière (« Ethique à Nicomaque » ). On relève ici .une opposition
avec la théorie platonicienne de la responsabilité.
LES
FAUTES :
A la même époque, les tribunaux distinguent avec le même
vocabulaire (Hèkousios/akousios) :
·
le phonos hèkousios : délit de plein gré qui relève de « l'aéropage ».
·
le phonos dikaios : délit justifié ou neutre, qui relève du « delphinion ».
.
UNE
LIBERTE :
L’ « ananké », « la
nécessité » existe:
·
pour le souhait,
·
pour le
jugement,
·
et pour l'action qui résulte nécessairement de leur conjonction.
Le terme de « liberté », « éleutheria »
désigne la condition de l'homme libre par opposition à celle de l'esclave.
Il faudra attendre Diodore de Sicile au
1er siècle avant J.C. pour trouver la « maîtrise de soi » = «
to autexousion ».
Mais pour Aristote, l'interne est assimilé à l'automne :
Une action est de plein gré chaque fois qu'on ne peut lui assigner une source
extérieure contraignante.
En grec classique, la racine « Boul... »..
ne remplace pas notre volonté :
UN
TYPE D’INDIVIDU :
La « pro-airesis » ou « pro-decision; pré-déliberation » d'Aristote suppose :
Ce moi n'a en rien le sens d'un moi personnel : « Autos »
se rapporte à l'individu dans sa totalité.
Ce moi n'est pas le moi des psychologues.
C'est cette inexistence de la contrainte intérieure qui
permet à Oedipe de se punir lui-même de plein gré puisqu'il n'a pas de
contrainte extérieure:
Ses souffrances sont « kaka hekonta , kouk akonta »,
« malheurs de plein gré, sans contrainte ».
Et il réconcilie par là la
« causalité humaine » à la « causalité divine » : « c'est
Apollon qui est l'auteur de mes souffrances atroces, mais personne,
autre que moi-même malheureux n'a de sa propre main
frappé »..
Ici Oedipe agit au nom du « dieu père » et non
pas « au nom du père ». Ce « dieu père »,
dieu olympien, plus récent que les déesses mères, chtoniennes, est encore
omniprésent.
Car Sophocle ne fait pas
naître le « Nom-du-père » (au sens banalisé par les
psychanalystes depuis Lacan) mais il en souligne justement
« l'absence » dans cette pièce et il en préfigure l'avènement :
Le père sera un dieu olympien segmenté.
C'est justement parce qu'il
agit « au nom d'un dieu père » et non pas « au nom du
père » que le châtiment d'Oedipe doit être total comme son « hèkon »,
« de plein gré », était total. On saisit là « un nœud » du
contexte mental du Ve siècle athénien.
La notion de « faute », l' « harmatia »,
qui était contagieuse, capable de gagner toute une ville ou tout un territoire,
est modifiée par l'avènement des tribunaux et de son vocabulaire politique.
L'ignorance qui était l'essence de la faute pour Aristote
devient « akon » ( « malgré soi » )
comme une contrainte extérieure et pour Xénophon : « les
fautes que les hommes
commettent par « a-gnoia », écrit-il, je les tiens toutes pour des « akousia ».(
« malgré soi »)
La culpabilité tragique se
situe dans une constante confrontation entre l'ancienne conception
religieuse de la faute , souillure extensible,
contagieuse, et la. conception nouvelle du droit qui définit le
coupable comme un « individu privé », qui a choisi
« sans contrainte extérieure » de commettre un délit.
Mais l'individu n'est pas seulement sujet du droit ou sujet
de droit, il n'est plus rien sans le droit, sans la « polis »,
sans le « logos politique » , d'où le totalitarisme de
l'ostracisme, du bannissement.
Coupé de ses racines familiales, civiques et religieuses,
l'individu n'est plus rien : Il ne se retrouve pas seul, il cesse d'exister.
La catégorie psychologique du moi est, on le voit, encore bien loin d'avoir acquis son statut psychologique.
____________________________________________
CONCLUSION
:
En conclusion, nous
croyons avoir montré qu' « une » - (parmi d’autres possibles) -
« notion de responsabilité » est née dans un contexte précis.
Elle fut une
« catégorie » encore loin de ce que notre entendement recouvre
aujourd'hui, maintenant sous ce même vocable de « responsabilité » ,
dans la partie culturelle du monde qui est la notre, en références aux données
qui nous réunissent , particulièrement eu égard à des « systèmes
officialisés » (même s’ils sont toujours évolutifs), de croyances, de
rites, de devoirs et de droits.
Nous constatons aussi qu'elle est un corollaire logique et
chronologique de catégories liées à elle comme la démocratie, la génitalité
œdipienne, l'écriture alphabétique et le chiffre trois. .
Davantage que l'aboutissement d'une simple
évolution historique, le Vème siècle qui a connu l'apogée de la
tragédie a sans doute été celui d'une mutation profonde.
Nous ne voudrions rappeler ici pour terminer que ces trois
sens de « trax-tragos » (d'où tragédie qui est
« trag-aidos » = « le chant du bouc » ) : « bouc,
puis puberté et voix qui mue »
POST-SCRIPTUM
- XXI ème siècle :
1. Aristote oppose « le plein gré » de l'individu
(qu'il délibère en lui-même ou non) aux contraintes extérieures. Il n'oppose jamais le corps à l'esprit et n’accorde aucun
rôle à la volonté qu'il ne reconnaît pas.
2. Plus tard apparaîtra en Occident, en particulier avec le christianisme,
le conflit entre le corps et l’esprit.
3. Dans notre Occident du XXI ème siècle, l'essence de ce
qu’on appelle « responsabilité » n’est le résultat ni d’un conflit entre l’individu et la
contrainte extérieure, ni d’une opposition entre le corps et l’esprit - bien
que ces deux aspects demeurent possibles si l’on en admet la classification et
puissent l'abolir, mais, en l'absence d’une telle abolition, résulte de la
façon dont une action intègre « la dimension de l'autre »
telle qu’inscrite dans le concept de « morale » qui
selon Darwin résulte de l’intégration de sa triple origine inscrite dans : les
instincts sociaux innés, l’environnement social et le fonctionnement mental de
chacun.
Etudes
récentes :
BERARD
Victor. – « Le drame épique ». 1930. Grasset. Paris.
DE FRADAR
J. « La littérature grecque » 1960. A. Collin. Paris.
MARROU
H..T. . « Histoire de l'Educatlon dans. l'Antiquité ». 1948. Seuil,
Paris.
NIETZSCHE
F. . « La naissance de la tragédie ». 1948, ColI. Médiation ( 1 ère
édit. 1878 ).
DE
ROMILLY Jacqueline. « La crainte et l’angoisse dans le théatre
d'Eschylle ». 1958. Coll. « Les Belles Lettres » .Edit
Guillaume Budé. Paris.
« L'évolution
du Pathétique d'Eschylle à Euripide ».1961. P.U.F.. Paris.
« Histoire
et Raison chez Thucidide » . 1956. ColI. « Les Belles Lettres »
Edit
Guillaume Budé. Paris
SEVERYNS A. . “Homère”
1945-1948. -(3 vol.) -Lebègue.
Anciens
auteurs :
PLATON.
« La République » (« Politéia »). Collection Les Belles
Lettres. 1965. Edit. Guillaume Budé. Paris.
« La
politique » Collection Les Belles Lettres. 1935. Edit. Guillaume Budé.
Paris.
« les
lois ». Collection « Les Belles Lettres ». 1968. Edit. Guillaume
Budé. Paris.
ARISTOTE
– « L'éthique à Eudème ».Collection « Les Belles Lettres ».
« L'éthique
à Nicomaque »Collection « Les Belles lettres ». 1972, Edit.
Guillaume Budé, Paris.
« La
politique ».Collection « Les Belles lettres ». 1970. J. Vrin.
Paris.
ESCHYLLE
– « Oeuvre. Complètes » :Collection « Les Belles Lettres ».
1964. « Théàtre Complet » Garnier. Fammarion. Paris.
.SOPHOCLE
– « Oeuvres complètes » Collection « Les Belles Lettres ».
1964. « Théâtre Complet » Garnier. Flammarion. Paris.
EURIPIDE
– « Oeuvra complètes » : Collection « Les Belles Lettres ».
1962, Edit.
Gallimard. Paris.
HOMERE –
« Oeuvres. Complètes ». :Collection « Les Belles Lettres ».
« L’Iliade et l'Odyssée ». 1958. classique Garnier. Paris.