Bonaparte en Égypte

 

 

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Ø      Bonaparte vu par « Ahmed Latif Effendi » et « Jabarti » :

 

Ø      « Ahmed Latif Effendi » :

Dans un livre sur  « l'Orient arabe », analysant les fondements du pouvoir Ottoman, « Henry Laurens [1] » cite le mémorandum d’un « raï’s el Kuttab », « Ahmed Latif Effendi », soit le principal secrétaire de la chancellerie, au moment du passage de Bonaparte en Egypte, que le ministre est loin d’accueillir « en libérateur »…

Il est frappant que ses paroles pour l’islam sont presque mot pour mot les mêmes que celles de Pie XII pour le christianisme que nous rapportons en note de bas de page in : L’invention de la psychiatrie note de bas de page N°47 et corps de texte correspondant (clic).

Citons Henry Laurens :

«  …Mais Bonaparte et ses conseillers orientalistes jugent que l'on ne peut gouverner l'Orient qu'en utilisant l'Islam comme arme politique [2], ……. C'est ainsi que Bonaparte, pour pousser les populations égyptiennes à  se rallier aux Français, mélange la rhétorique révolutionnaire française et la légitimation islamique des révoltes : il affirme que les « Mam1ouks » ne respectent pas Dieu, que tous les hommes sont égaux devant lui et que les Français sont les « vrais musulmans » puisqu'ils ont chassé le pape de Rome et détruit l'ordre de Malte…  » 

 Mais le « raï’s el Kuttab », « Ahmed Latif Effendi »,   ne croit pas à la sincérité des paroles de Napoléon, et il écrit  :

«   ... Les gens bien informés n'ignorent pas que la conflagration de sédition et de scélératesse qui éclata il y a quelques années en France, projetant des étincelles et des flammes de trouble et de tumulte dans toutes les directions, avait été préparée de longue date dans l'esprit de certains hérétiques maudits …De la sorte, les célèbres athées Voltaire et Rousseau, et d'autres matérialistes de leur acabit avaient édité et publié divers ouvrages consistant, Dieu nous en préserve, en insultes et calomnies contre les purs prophètes et les grands rois, réclamant la  suppression et l'abolition de toute religion… etc. …
Nul n'ignore que l'ordre et la cohésion de tous les États reposent avant tout sur la solidité des racines et des branches de la sainte loi, de la religion et de la doctrine ; que seuls !es moyens politiques ne suffisent pas à assurer la tranquillité du pays et l’obéissance des sujets; que la nécessité de la crainte de Dieu et le respect du châtiment dans les cœurs des esclaves
[3] de Dieu sont un des décrets divins les plus indéracinables  ;
....[ les révolutionnaire français ont ainsi préparé ].... la voie à la réduction du peuple de France à l’état de bétail….…
……………...Ils ont fait traduire dans toutes les langues et, publier en tous lieux la déclaration rebelle qu’ils appellent « les droits de l’homme » et se sont efforcés d’inciter le peuple de toutes les nations et de toutes les religions à se rebeller contre les rois dont ils sont les sujets  ».

 

Ø      « Jabarti » :

Bonaparte aurait voulu asseoir son prestige en Égypte sur l’islam.

Le passage  de Bonaparte en Égypte est relaté par son contemporain « Jabarti », qui a été impressionné par les canons et la technique occidentale, mais  ne croit pas beaucoup à la sincérité d’un « Bonaparte enturbanné » qui se déclare l’ami des musulmans sous prétexte qu’il a repris au passage l’île de Malte aux chevaliers chrétiens.

      Il est considéré comme « un croisé déguisé ».

Plus tard, Napoléon, empereur, voudra à nouveau asseoir son prestige sur la religion, mais cette fois sur le christianisme, ou plus exactement faire reconnaître ce dont il est l’auteur par le pape.

 

Ø      Mais qu’est allé faire Bonaparte en Égypte ?

On peut se perdre en conjectures de politique intérieure et/ou de politique extérieure de la France : Mais, hors politique, est-il parti à la rencontre de l’islam ou à la recherche d’un supposé paganisme antique ?

Parmi les conséquences immédiates pour le monde arabe, on cite souvent l’impulsion aboutissant à la « nahda », « le réveil » : Les travaux les plus récents en modèrent cependant considérablement le poids jusqu’ici concédé (Cf. « L’état des lieux dans le monde arabe à la fin du XVIII ème siècle » de Hilary Kilpatrick et Farouk Mardam-Bey, in « Histoire de la littérature arabe moderne » Tome I : 1800-1945, Edition :  Sindbad Actes Sud, 2007 ISBN 978 2 7427 5904 0).

Par contre, une conséquence pour nous excessivement importante, à plus long terme, et inattendue, n’en est encore qu’au début de son exploitation : Cachées derrières d’hermétiques hiéroglyphes, ce sont les racines les plus profondes du christianisme qui nous seront par eux rendues accessibles depuis les travaux de Champollion.

L’Égyptologie éclaire également de jours nouveaux l’islam et le judaïsme.

Parmi les intuitions des pionniers, citons celles d’Athanasius Kircher au XVII éme siècle.

Parmi les travaux érudits de nos contemporains, citons ceux de Sarwat Anis El Assiouty, de Christiane Desroches Noblecourt, de Ian Assman.

(Cf : « La conversion de la Grèce » (Clic

     



[1] Henry Laurens dans [« L’orient arabe, arabisme et islamisme de 1798 à 1945 », Edition Armand Colin, Paris  année 2000, pp. 42-43], cite une citation de Bernard Lewis dans [« Islam et laïcité », Paris Fayard, 1988, pp. 64-65].

 

[2] S’affranchissant lui-même de certaines préoccupations morales, [Napoléon] considère l’appareil religieux comme une nécessité sociale, et le 5 juin 1800 déclare à Milan devant un clergé stupéfait (clic) (la note de bas de page permet de remonter au texte correspondant) : «  Nulle Société ne peut subsister sans morale, il n’y a pas de bonne morale sans religion, il n’y a donc que la religion qui donne à l’Etat un appui ferme et durable… J’espère que j’aurai le bonheur de lever les obstacles qui pourraient s’opposer à la réconciliation de l’Eglise et de l’Etat ».

 

[3] Il est habituel en France de traduire « ‘abd » par « esclave » mais cette traduction est exécrable – sinon « raciste » à l’encontre des « slaves » :

·        Le mot français « esclave » est une déformation du mot « slave » qui représente une ethnie.

De nombreux autres mots devraient désormais être utilisés pour désigner des états de servitude qui, dans le monde et par les temps, ne sont - ou n’ont pas étés - toujours univoques.

Le mot normal de toute « servitude » est « serviteur ».

Mais toute traduction doit tenir compte du contexte, de l’époque et du génie de la langue.

Le meilleur latiniste éprouvera certainement les plus grandes difficultés à traduire le latin médiéval du livre dont le titre est  « Otia Machomete », livré le plus souvent sous le nom de  « Roman de Mahomet ».

 

·        Le mot arabe « ‘abd » signifie « adorateur de » ( <= « ‘abada » = « adorer »)

Abondamment utilisé dans le Coran, le mot est hautement religieux et, qui plus est, renvoie à un « déclaration de foi ».

C’est ainsi qu’on traduit en français « la chahada » qui elle-même est toujours traduite par « témoignage », à partir du mot latin « testis » qui a donné, outre le mot témoin, le mot « testament ».

Mais en réalité, la racine arabe qui a donné le très beau mot « chahid » (= « témoin – martyr ») est beaucoup plus superposable à la racine grecque « martus » qui est passée en français pour nous donner le mot « martyr », avec exactement le même sens que « chahid » ; Car en français, le sens de « martyr » n’est pas contenu dans le mot « témoin ».

Cela vient de ce que le vocabulaire français vient grosso modo pour moitié du grec et pour moitié du latin, et qu’il n’existe jamais entre 2 langues de superposition sémantique stricte : Prononcer le mot « arbre » pourra tantôt évoquer un « sapin », tantôt évoquer un « olivier » …

Enfin , il nous semble utile de rappeler que le mot « foi » - ici contenu dans l’expression « déclaration de foi » vient de « fides » est en latin la « fidélité à la parole donnée ».

Le mot est à différentier du mot « croyance » qui tient de la conviction intellectuelle (« credo »), ce qui n’est pas le cas de « be-lieve » en anglais, qui tient de « love », « l’amour ».

 

·        Ne cachons pas que les difficultés de toute traduction sont immenses, en raison de la polysémie des mots, de contextes sociaux-culturels différents et de l’importance des thèmes engagés.

Littéralement, on devrait  traduire « ‘abd Allah » par « adorateur de Dieu » ; « ‘abd el Majid » par « adorateur du Glorieux », etc. Il y a 99 noms divins qui sont tous à l’origine des plus pieux prénoms musulmans.

Or on n’a pas l’habitude en chrétienté de désigner un « adorateur de Dieu » par le nom « d’esclave de Dieu » ; il est donc parfaitement aberrant de traduire en français « ‘abd Allah » par « esclave de Dieu ».

Toute traduction exacte étant impossible, le mot « adorateur » ayant aussi quelques connotations « idolâtriques », ou non scientifiques, ou désuètes en français, un terme comme « sujet » nous semblerait beaucoup plus en accord avec les sémantismes actuels de la culture française.

On remarquera en dernier que, si tous les mots de toutes les langues sont susceptibles de changer de sens en fonction du temps et du lieu, (glissement du « signifié » sous le « signifiant ») ces transformations du sens des mots ne sont jamais synchrones d’un pays à un autre - pour ne pas dire d’une personne à une autre, et chez la même personne en fonction des circonstances et du temps...