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Lettre au groupe
communiste de l’Assemblée Nationale Contre le projet d’internements psychiatriques
ordonnés par un juges |
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Lettre au groupe communiste de
l’Assemblée Nationale pour la réforme de la psychiatrie
( Contre le projet, proposé par ce groupe, d’internements
psychiatriques ordonnés par un juge. Arguments. Ni le préfet ni un juge n’ont à
décider de l’indication de soins médicaux . )
Paris le 1er mars 1998
Monsieur,
J’ai
lu la « proposition de loi N°366 » relative à la prise en
charge médicale et aux droits des personnes atteintes de troubles mentaux.
Nul
ne contestera que le sujet est difficile à traiter dans le contexte actuel de
notre pays.
Je
salue votre initiative de vouloir améliorer la situation relative aux libertés
publiques.
Cependant,
la lecture de vos propositions me laisse absolument perplexe.
Comme
je milite depuis 20 ans pour de profonds changements, et que, à ce titre, je me
penche avec intérêt sur toute nouvelle proposition, vous comprendrez que je
ressente même une certaine déception.
Je
relève d’immenses contradictions, et finalement des propositions qui
risqueraient d’apporter une situation peut être pire que la situation actuelle
pour les patients, pour les soignants, et même pour l’ordre public !
Dans
l’ensemble, vous ne remettez malheureusement pas en question la « dé-judiciarisation »
actuelle des « malades mentaux » par les procédures
d’internement, auxquelles vous trouvez des utilités dont il est difficile de
dire si vous les voyez pour « l’Ordre public » ou pour les
« soins » d’un supposé malade, et ce que vous appelez « mesure
de sûreté » correspond exactement au fondement théorique de « l’Asile
d’Aliéné de 1838 »
En
cela votre raisonnement n’est pas différent de celui de cette faible majorité
de députés qui en 1838 ont fait passer ladite loi
Vous
pensez peut-être réussir deux actions en même temps, mais vous perdrez sur tous
les tableaux : Certes le bien des uns ne s’oppose pas nécessairement au
bien des autres, mais lorsqu’il y a conflit, il est difficile de couper la tête
à un citoyen indésirable en disant que c’est pour son propre bien.
La
« justice », la « police », la « médecine »
sont des institutions précises, qui ne fonctionnent pas de la même façon.
Il
faut respecter les impératifs de chaque spécialité.
Votre
innovation consiste à remplacer le Préfet par un juge qui ne jugerait
pas !
Cela,
non seulement n’a strictement aucun intérêt, mais encore ajoute le désavantage
de faire croire à une situation judiciaire alors qu’elle n’en aurait que
« l’habit », et de priver en même temps les patients d’un
recours judiciaire, qui, quoique difficile à saisir, existe aujourd’hui en
théorie.
Si
j’ai bien compris, vous voulez adresser les personnes suspectes de troubles
mentaux à deux juges différents, tantôt un juge normal, mais qui ne jugerait
pas, pour « décider des contraintes », et tantôt un juge des
tutelles, pour contrôler les médicaments prescrits de force et « autoriser
le médecin » à y recourir !
En
somme un juge serait susceptible d’imposer à un médecin de soigner un patient
contre son gré et un autre juge déciderait des médicaments !
C’est
tout un orchestre judiciaire qui dirigerait ainsi les mains d’une ombre de
médecin !
Vous
demandez à un premier juge d’ordonner des soins au cours d’une « caricature
de jugement » et souhaitez charger ensuite un « juge de
tutelles » de surveiller le déroulement de ceux-ci, sans doute parce
qu’il est déjà un peu moins juge qu’un juge ordinaire bien que, pourtant, en
principe, il juge encore des parties lorsqu’il prononce des tutelles, même si,
de fait, la procédure est souvent hâtive.
En
fait pourquoi ne pas le dire, vous inventez un « juge des traitements »,
mais qui n’est plus « juge que, peut-être, des médecins » !
Ces
juges seraient une sorte de « super psychiatre », alors qu’il
faut demander aux médecins d’être responsables de ce qu’ils font eux-mêmes,
personnellement, depuis « les indications », jusqu'à « l’application »
et que toute hiérarchie en médecine est déjà très problématique, dès lors que
l’on songe à la relation singulière que tout médecin, et à fortiori tout
psychiatre, connaît bien avec son patient.
De
toutes façons, un « juge des traitements » tel que vous
l’inventez ne pourrait rien faire sans s’entourer de psychiatres, ce qui nous
ramène au cas d’un médecin chef !
Pas
une seule fois, vous ne parlez de la « demande du patient » !
Alors
que celle-ci est absolument « l’essentiel »de ce qui permet
les soins et les guérisons !
Au
mieux, vous parlez de « consentement », ce qui n’est pas du
tout la même chose !
J’ai
un peu l’impression que vous ne traitez que des formes, voire des apparences et
non du fond !
Il
faudrait en effet savoir avant tout à quoi doit servir la psychiatrie, et si
elle ne sert à rien, la supprimer.
Si
c’est une « médecine », il faut lui donner un statut de
médecine, et si vous pensez que « l’internement » est un soin,
voire un mode d’accès au soin, qu’il soit reconnu comme tel, et prononcé par le
médecin qui le prodigue, quitte à faire ensuite un procès au médecin soupçonné
d’abus, comme on le fait contre tout médecin, mais ni le préfet, ni le juge
n’ont à en débattre, sinon l’intéressé et (avec ou contre !) son
médecin !
Bien
sûr, je ne manque pas d’apercevoir là une situation conflictuelle et
paradoxale : un médecin irait-il à l’encontre de ce que son patient lui demande !
Va-t-il
pour cela devoir employer la force, la persuasion, la ruse, le mensonge ?
Certes
on n’aime guère traiter de ces choses !
Mais
vous les évacuez allègrement, avec la même hypocrisie que je veux croire
involontaire que celle dont le Législateur n’a pas cessé jusqu’ici de faire
usage !
Croyez-vous,
en effet, que demander à un juge ou à un préfet de faire la même opération
change réellement le problème de fond ?
En
première apparence, oui, le médecin pourra dire qu’il n’est pas à l’origine du
« placement » et que ce n’est pas son affaire !
Mais,
très rapidement, il va être obligé d’assumer son propre point de vue.
Et
comme il y a eu au départ conflit entre juge ou préfet et un patient, le médecin
devra bien se prononcer pour le juge ou préfet ou pour le patient.
Le
médecin se retrouvera donc dans une situation bien pire que s’il l’avait
assumée dès le départ puisqu’il est susceptible maintenant de rentrer en
conflit non seulement avec un patient mais en plus avec un juge ou
préfet !
Vous
n’avez au total fait que déplacer le problème, le reculer, le rallonger,
l’alourdir d’autant, en masquant les réalités, transformant souvent une
situation simple en une confusion inextricable.
Loin
de moi, certes, l’idée de préconiser l’internement médical !
Cependant,
il est évident que tout médecin, comme tout citoyen, d’ailleurs, emploiera
toute méthode qu’il juge appropriée pour sauver une personne en danger, et je
songe par exemple au tranquillisant que l’on peut administrer à une personne
ivre ou agitée.
Mais
ce faisant, le citoyen, le médecin ne fait qu’appliquer « l’ancien
article 63 » concernant l’assistance à personne en danger, et aucune
loi spécifique contre la folie n’est nécessaire !
D’ailleurs
si l’on pense que le patient est hors d’état de penser, pour son bien, et
qu’il faut le traiter de force, que ce soit par les soins de quiconque,
médecin, juge ou préfet, son patrimoine physique et mental devrait
automatiquement être assisté, et c’est en principe la fonction du tuteur et de
l’assistant social
Mettre
quelqu’un sous tutelle, rappelons-le ne veut même pas dire « dé-judiciariser
la personne », et un tuteur peut ester en justice
Si
l’internement est une « mesure de sûreté », il ne faut pas
l’appeler « hospitalisation ».
C’est
alors un juge qui devra dire s’il y a ou non matière à « examen »
ou à « incarcération » car rien n’empêche de juger les
patients, comme vous semblez sur le point de l’apercevoir, pas même une « suspicion »
de troubles mentaux !
Fondamentalement,
hors les problèmes d’épidémies dont on pourrait parler aussi, mais qui
n’interviennent pas ici, le médecin est là pour défendre la « santé
d’un particulier », et le juge pour défendre « l’intérêt
général d’une société » .
Comment
voulez-vous dès lors que le juge soit une sorte de « médecin-chef »
?
C’est
d’ailleurs probablement pourquoi vous lui demander de ne pas juger, mais un
médecin chargé d’exécuter des décisions judiciaires devient une sorte de
bourreau, et s’il s’agit d’une décision judiciaire sans défense du « patient-accusé
( ?) » , n’est-ce pas véritablement une situation
tyrannique ?
Mais
même dépouillé de sa fonction judiciaire, un juge n’en garantit pas pour autant
mieux la qualité médicale des soins !
Osons
demander à nos juges de « juger », même s’il paraît plus
simple à certains d’administrer et d’appliquer des codes standardisés !
En
bref, je ne souhaite nullement la « judiciarisation des internements »,
mais seulement la « suppression de la dé-judiciarisation »
actuelle des supposés malades mentaux, comme je l’explique dans quelques
articles.
Celle-ci
est en effet choquante eu égard au respect des droits de l’homme et
incompatible avec les soins médicaux.
Dans
« l’article 1 », vous prévoyez une ou plusieurs commissions,
qui, regroupant des personnalités qui existent déjà, seront très prévisiblement
« naturellement conflictuelles ».
Dès
lors il n’y aura plus que des rapports de force.
Actuellement,
celui-ci est systématiquement en faveur du Préfet, du fait qu’il n’y a pas
place pour la justice !
C’est
celle-là même qu’il faut rétablir et il est inutile de broder autour de
commissions qui ne remplaceraient pas ce manque.
Si
l’on voulait être inventif, on pourrait prévoir une « aide directe »
et efficace au patient.
Dans
le même sens d’ailleurs, vous envisagez dans un autre passage des
représentations par « d’anciens malades », ce qui est une
bonne idée, mais « mieux vaut une aide qu’une représentation » !
Nul
n’est mieux représenté que par lui-même, du moins dans le domaine que nous
traitons.
Dans
« l’article 2 », vous parlez de « troubles mentaux qui
compromettent l’ordre public », expression galvaudée, mais incorrecte
car ce ne sont pas les troubles mentaux qui compromettent l’ordre public, mais
« les actes et les dires » d’une personne éventuellement
atteinte de tels troubles, ce qui est fondamentalement diffèrent, car ce
disant, je fais réapparaître la personne que vous avez oubliée !
A
partir de ce malentendu et pour cette raison, vous réinventez l’asile de 1838
et de 1990.
« L’article
L515 du Code civil »,
tel que vous le proposez, ne me rassure pas du tout et même me terrorise un
peu.
Certes
le débat est dit « judiciaire » et « contradictoire
», mais c’est purement formel : En effet, il risque de ne pas être
« contradictoire » puisqu’il s’agira de sanctionner une
maladie, sans adversaire (sinon en inventant « un conflit contre le
parquet » ? ) et de n’avoir de « judiciaire »
que l’habit , puisque le certificat médical est exigé , alors que justement il
faut reconnaître des faits , des actes , avant de connaître la « confession »de
son auteur !
Et,
dans tous les cas de « solution » que vous préconisez, qu’il
s’agisse « d’assignation à résidence, de placement dans un
établissement non-médical » (ce qui veut dire ? ? ?),
ou dans un « Etablissement de soins » , c’est le juge qui fixe
les indications , comme sanction d’une maladie, et en l’absence de toute faute
pénale !
C’est
inadmissible au niveau des « droits de l’homme ».
Ensuite,
il n’est pas admissible, au niveau technique, qu’un juge pose une « indication
médicale ».
Enfin,
je doute fort qu’il y ait jugement réel, vu que d’une part il n’y a rien à
juger en matière « de troubles mentaux », et que d’autre part
le juge s’appuiera sur des certificats en sa possession (actuels et anciens,
quoiqu’on dise !, puisque rien ne lui interdit de les lire, idem pour ceux
des préfectures ).
Le
« médecin certificateur » ne sera pas le « médecin
traitant », et on retrouvera le cas actuel des « Hospitalisations
d’Office » et des « Hospitalisations à la demande d’un Tiers »,
où personne n’est responsable des conséquences de ce qu’il fait, du moins
lorsqu’il interne « autrui »; mais où par contre, celui
qui « libère » est toujours beaucoup plus attaquable, et où, donc,
par « prudence administrative », il est toujours préférable
d’avoir la main trop lourde, au risque de détruire un individu !
Cela
est contraire à l’adage de médecine : « primum non nocere »,
c’est à dire ; « avant tout, ne pas nuire » !
Ces
pouvoirs du Juge qui aurait entre les mains et « l’Exécutif et le
Judiciaire » sont contraires au principe de la séparation des
pouvoirs.
Quant-à
ce qu’on appelle aujourd’hui le « pouvoir médical », celui-ci,
dans la mesure où il existe serait aussi confié aux « juges ».
Or, on est en droit de demander aux juges de juger non pas des « délits
de l’imaginaire », mais des faits « réels »et bien
instruits.
Et
un juge n’a même pas à connaître l’« imaginaire » d’un sujet,
et cela, à fortiori si l’on envisage une situation thérapeutique, et que
celui-ci est délicat à décrypter, même pour un médecin spécialisé!
Que
pourrait bien faire un juge, non-psychiatre, de « fantasmes de meurtre »
tels que celui d’un fils pour son père, qui en termes techniques s’appelle
« complexe d’Oedipe », pour prendre un exemple généralement
connu, et du restant à l’envie ?
On
pourrait dire qu’il faut laisser « aux juges les
faits », et « aux médecins les fantasmes », formule
bien sûr à comprendre dans le texte présent.
Mais
ceci est tellement nécessaire que c’est précisément parce qu’il sait que ses
paroles sont couvertes par le secret médical, et que le médecin n’a pas le
droit de les rapporter, qu’un patient pourra confier ses intimités au médecin.
Telle
est la situation thérapeutique ! La police, la justice, ne pourraient
qu’être embarrassés d’être dépositaires de fantasmes d’autant plus terrifiants,
qu’ils ne les comprendraient pas.
Les
autres articles se contentent de légiférer un peu dans le vide, ce qui fait que
tout le problème de la psychiatrie aura été escamoté, y compris les mythes de
la « dangerosité » et de « l’urgence ».
Comme
en 1838, on légifère sur la maladie avant d’avoir reconnu celle-ci !
En
effet, pourquoi tous ces délais de 24h, de 15 jours, d’un mois, trois, six...
etc. ?
Aucun
cycle médical ne ressemble à un tel calendrier !
Vous
vous perdez dans des subtilités de « sédatifs ayant une durée maximum
de 24 h », ce qui naturellement est une pure plaisanterie, non
seulement sur le plan biologique, mais aussi sur le plan psychologique, car
quand on perd confiance, c’est pour la vie !
En
conclusion, pour traiter de ce problème, il faut absolument faire table rase
des lois de 1838 et 1990 et reprendre tout le problème à zéro, en séparant
« les actes » - champ de la justice -, des « pensées »
- champ de la liberté proclamée - ; en séparant les pouvoirs à la
condition de mettre chacun à sa place, et admettre que chaque acteur ;
médecin, juge, policier, citoyen, perturbé ou non, soit responsable de ce qu’il
fait personnellement.
La
médecine est sans doute à la fois une et complexe, mais il n’appartient pas à
d’autres qu’au médecin lui-même de séparer techniquement ce qui est biologique,
psychologique chirurgical etc.
Le
juge ne peut pas décider des spécialités médicales compétentes.
Je n’ignore pas les rapports étroits qui existent entre « la justice » et « la
psychiatrie » et
même « toute la médecine », et c’est peu dire que de dire que l’une
est l’autre concernent « les mêmes
personnes » d’une « même société ».
Mais quand bien même la médecine et la justice seraient « frère et sœurs », que pourrait bien résulter d’une « inversion » de
leurs vêtements réciproques en vertu de leur appartenance à une même famille,
sinon une apparence funeste de « carnaval » ?
Actuellement
encore une fois, par l’absence de reconnaissance qui leur est faite, les
patients sont incités à toutes formes de quêtes identificatoires, de
revendications, de délinquance, de violences et de dangerosité artificiellement
induites, et celles-ci prennent d ‘autant plus l’allure de l’escalade
qu’elles ne sont jamais reconnues !
Pourquoi,
même, n’y a-t-il pas davantage de drames ?
Peut-être
et probablement parce que justement, souvent, ce sont, sinon les meilleurs, du
moins les plus dociles de nos concitoyens qui font les frais de ce système,
comme « boucs émissaires » immolés sur l’autel de l’ordre des
« bien-pensants », ordre d’une société figée qui profiterait
pourtant davantage de se remettre en question que d’élire des « boucs
émissaires ».
A
toutes fins susceptibles de vous intéresser, je me permets de vous adresser
quelques textes que j’ai pu écrire sur ces sujets.
Je
souhaiterais éventuellement pouvoir développer avec vous, si vous le désirez,
toutes mes argumentations sur ce thème et reste à votre disposition pour le
faire.
En
vous remerciant de vos diligentes préoccupations, de vos recherches, et des
suites que vous voudrez bien donner à ce courrier, je vous prie, monsieur de
croire à ma considération distinguée.
Docteur
Jacques de Person