« PHARMACOS », « MAJNOUN » et
Trois essais de repérage : le bouc-émissaire des grecs indo-européens, le fou des
arabes sémitiques, les droits des citoyens anglo-saxons.
Par : Jacques de
Person* - Philippe Rappard** - Claire Rousselle*** - Mariano Gasque****
Année 1990
______________
Résumé
Mots-clés : Pharmacos - majnoun -
Habeas corpus -
Key-words : Pharmacos - majnoun - Habeas Corpus
_________________
* Docteur Jacques de
Person.
Praticien hospitalier. CHS de Perray-Vaucluse 91360 Epinay-sur-orge
** Docteur
Philippe Rappard. Psychiatre honoraire des hôpitaux, Maître de conférence
au Collège hospitalier Pitié Salpétrière de Paris, 91, route de Saclas - 91150
Etampes.
*** Docteur
Claire Rousselle. Psychiatre. CHS de Perray-Vaucluse - 91360
Epinay-sur-Orge.
**** Docteur
Mariano Gasque. Psychiatre. Calle Torres Nuevas, 33 - Zaragoza, Espagne.
___________________
C |
es
trois mots désignent respectivement pour les deux premiers des statuts de personnes
marginalisées dans les cultures grecque antique et arabe traditionnelle et pour
le troisième le droit de tout citoyen d'être jugé dans la culture anglo-saxonne
actuelle.
Expliquons ces repérages.
Sous l'apparence de trois étapes
chronologiques ou culturelles qui soutiendront notre exposé, ces repérages
désignent en fait trois modes conceptuels hétérogènes pour l'approche non pas
d'un même objet, mais de trois objets qui n'ont guère en commun précisément que
le fait d'être l'objet d'un repérage très fort, d'exclusion pour le premier, de
médecine pour le deuxième, juridique pour le troisième.
Trois concepts en quête d'objet ... en
somme !
Si d'une certaine manière ils s'entremêlent
— bien mal — aujourd'hui en cette curieuse psychiatrie que nous connaissons,
c'est par l'effet d'une simple accumulation historique d'éléments hétéroclites,
dont le principe de l'"Habeas Corpus" permettrait d'organiser
l'espace de fonctionnement.
Cet article introduira ainsi les
propositions de l'article suivant traitant de l'"Habeas Corpus".
"Habeas Corpus" est en effet un "mot clé" de la
"Commun Law" anglaise, que nous appellerons le troisième droit, les
deux premiers étant (pour la plupart des juristes actuels et dans cet exposé)
le droit romain et le droit islamique.
Ø
Vers le Ve siècle avant J.-C., en Grèce ancienne le Pharmacos[2]
est un bouc émissaire humain que les citoyens lapidaient ou chassaient de la
cité pour guérir celle-ci d'une épidémie ou de tout autre fléau[3].
Ce fut l'objet du questionnement de Sophocle dans la trilogie d'Oedipe[4].
"Oedipe-tyran"[5]
doit-il devenir "Oedipe-bouc-émissaire" pour sauver Thèbes, ville
maudite ? La santé et la maladie sont dans cette coutume une affaire collective
et de contagion. Agé alors de la quarantaine, Hippocrate, originaire de l'île
de Cos n'a pas encore fait connaître ses observations cliniques. En particulier
sur la folie, ses théories seront humorales.
Quant
aux catégories d'Aristote, elles ne verront le jour que cent ans plus tard.
Fils de médecin, il sera dualiste, n'admettant pas ce que l'on pourrait appeler
aujourd'hui la "psychologie" des névroses. Il ne comprendra pas non
plus le questionnement de Sophocle. Sans doute le Ve siècle athénien a-t-il vu
naître ou se développer une "psychologie", mais celle-ci n'aura en
rien pénétré le champ de la médecine.
La
psychologie, présente dès Homère : "Patience, mon coeur" dit Ulysse
(cf. le livre de Jacqueline de Romilly) se développe incontestablement d'Eschyle
à Euripide et sans elle il n'y aurait pas de ressort tragique.
Mais
la psychologie ici accompagne l'acte et ne le dirige pas.
Il
ne saurait donc y avoir de traitement par la psychologie. Au mieux il y a ruse
ou tromperie, mais pas d'analyse ni de construction d'un moi au sens
contemporain. La yUch
(Psyché) c'est d'abord la vie elle-même.
Les
développements ultérieurs de la psychologie montreront que cette science ne
doit pas tout aux grecs, loin de là. Certaines formes de ces puissances
invisibles que Freud appellera curieusement Eros, Thanatos, etc. chez les grecs
se concrétisent dans l'animisme, et encore pas chez tous. Il appartiendra à
d'autres peuples de les placer en l'Homme.
Ø
Plus tard, un grand nombre de nouveaux concepts furent
élaborés ou réélaborés au Moyen-Orient et même en Orient, durant la période
Hellénistique[6] (du IIIe
siècle av. J.-C. à J.-C.) et le début de l'ère chrétienne, qui n'en est que le
prolongement (Syriaques, Nestoriens et médecins de Jundi-Chapour (dans le
Khorasan) où l'on signalerait un bimaristane au Ve siècle après J.-C.).
Puis
durant le haut Moyen-Age, la culture méditerranéenne s'élabore et se transmet à
l'occident en langue arabe qui est alors le principal véhicule de l'héritage
méditerranéen. Byzance en comparaison ne représente plus qu'une culture
locorégionale en sommeil et peu productive[7].
Les frontières nationales et l'homogénéité des croyances n'étaient pas non
plus délimitées comme aujourd'hui. La langue choisie l'était enfin pour le
thème parlé. Lorsque naît l'islam (au VIIe siècle après J.-C.), le mot majnoun[8]
désigne en arabe la personne qui est habitée par les "jinns". Les
jinns sont des esprits impalpables (en français les "génies"). Le mot
majnoun est celui qui est utilisé pour désigner ce que nous appellerions
approximativement le "possédé" en langue arabe, depuis les temps pré
islamiques, jusqu'à aujourd'hui. C'est le mot le plus général pour désigner le
"fou".
L'Islam
n'a pas changé cette conception.
D'ailleurs les religions ne font généralement qu'affermir
des pratiques ou des croyances qui leur sont antérieures afin de perpétuer la
cohésion du groupe qui les fait naître face à un danger extérieur.
Mais
tout un vocabulaire désigne les différentes formes d'égarement et la médecine
s'y introduit, délimitant une sorte de domaine psycho-médical.
Ø
« Habeas Corpus… » Ces deux mots latins sont le
début de la déclaration solennelle de 1679 qui stipule que tout homme arrêté
et privé de liberté a le droit d'être déféré devant un juge. Cette règle avait
commencé de poindre dès la "grande Charte" de 1215 en Angleterre.
Ces trois mots sont tirés de trois cultures différentes
qui dominèrent à leur tour le monde occidental, entité d'ailleurs aux
limitations toujours très floues, à savoir la culture gréco-latine, puis
arabo-persanne, puis européenne, celle-ci étant dominée maintenant par un
mélange de latino-anglo-saxonnité. Ces cultures ne correspondent pas aux
limites des nations. Par contre il existe un lien très fort entre leur contenu
et l'époque considérée. La langue est à cet égard et dans ces cas plus un
moyen de communication qu'un authentique acte de naissance de l'idée. On a
parlé le grec puis on a parlé l'arabe en méditerranée comme on parle
aujourd'hui l'anglais de par le monde.
Les
mots que nous avons ainsi sélectionné se rapportent à des personnes
marginalisées dont le statut crée en somme la particularité. L'un bien sûr
n'exclut pas l'autre dans l'une des cultures citées et encore moins ne résume
ladite culture.
De
plus les cultures "successives" ne s'opposent pas toujours ; souvent
même elles se prolongent l'une par l'autre, mais jamais ne se superposent sinon
au prix de forçage et donc de fausseté et de violence.
Encore
une fois nos repères ne sont là et isolés comme tels que pour la commodité de
notre exposé et leur épaisseur conceptuelle.
Ainsi
:
·
dans le cas
du pharmacos, le statut de marginal est déterminé à partir de
références de type « policier ». Son exclusion se fait « manu
militari ».
·
le majnoun
est un cas clinique de référence médicale[9].
·
l'habeas
corpus est une
préoccupation pour que l'exclusion ait lieu à l'intérieur même de l'ordre
judiciaire, pour un individu privé de liberté.
Ces trois domaines de référence, policier,
médical et judiciaire, s'entremêlent en France dans la psychiatrie de 1990.
Mais ils ont une histoire et des traditions. Le droit français naissant après
avoir subi une influence orientale, reprit le droit romain comme base à la fin
du Moyen-Age, puis subit ensuite, à plusieurs reprises, de très fortes
influences anglo-saxonnes (durant la féodalité et à partir de 1815).
C'est évidemment à ce moment, à la fin du
Moyen Age, que commence à se poser en des termes dont nous sommes encore
redevables la question de la prise en charge des individus réputés malades
mentaux.[10]
Pourquoi et comment l'exclusion de ces
personnes s'est-elle décidée hors du système judirique ?
Les grecs avaient lapidé pour guérir la
cité : mais la victime n'était pas toujours l'auteur du mal ou de la maladie :
le sacrifice humain pouvait apaiser les dieux.
A partir de Clisthène, l'exclusion
se fait par « ostracisme » (sous forme de vote).
Mais quant à la folie, son statut n'a
jamais été isolé comme tel. La « mania » n'est, au moins dans
son expression, que l'un des dérèglements physiques possibles, et comme tous
les dérèglements elle est une épreuve des dieux.
Les sémites et l'Orient se préoccupent
davantage de la prise en charge phycho-logique et psycho-médicale, mais là
encore, aucun statut particulier n'existe. La « science des maladies de
l’esprit » fait partie intégrante de la médecine, et toutes les
sciences sont sous obédience religieuse.
A partir du XIIIème siècle se met en place
le droit français moderne, au moins dans ses grandes lignes et sous forme
embryonnaire.
Chaque domaine doit trouver sa place et ses
limites. Même le domaine de la religion semble canalisé.
Mais la « maladie mentale »
échappe à toute délimitation et n'a aucune existence propre.
Or, sitôt que le champ d'intervention de
cette puissance supérieure que l'on appelle Dieu se rétrécit, le champ de la
maladie mentale semble s'étendre et échapper de plus en plus à la médecine.
Précisément, la psychiatrie allait occuper,
de fait, cette place du « partout et du nulle part », de
« l'essentiel et de l'accessoire », que laissait libre la religion en
se retirant de son rôle transcendantal.
Comme telle, la psychiatrie ne pouvait
rentrer dans aucune « boite juridique », sinon qu'elle fut
elle même cette boite de Pandore qui ne retint que l'Espérance ;
mais qui permet, si on ne l'ouvre pas, de résoudre n'importe quelle équation de
l'impossible sous forme du « Happy End » dont abusent les
mauvais metteurs en scène : ... In fine, on découvrit que c'était le
diable, lequel put, fort heureusement, réintégrer l'Asile...
Les propositions de l'article suivant ne
proposeront pas un statut juridique de la folie, mais un statut juridique du
délinquant — même s'il est malade mental — . Quant aux malades mentaux non
délinquants, leur liberté devrait aller de soi, dès lors que leur
marginalisation devient inutile à l'équilibre du groupe.
Après plusieurs siècles de débats sur le
libre arbitre et la volonté divine, c'est une sorte de retour à Aristote[11]
qui est proposé.
Pour Aristote, la « contrainte
intérieure »n'existe pas. Elle ne relève donc ni des tribunaux, ni
d'aucune forme de prise en charge. Pour nous, qu'elle existe ou non n'implique
en rien de la « métaphoriser » par une contrainte extérieure,
dès lors que celle-ci n'en assure avec certitude « ce qui est bien pour
autrui ».
Sans doute, le rôle de l'éducation, des
parents, tuteurs, juges pour enfants et juges des tutelles s'en trouvera-t-il
alors éclairé d'un éclairage différent.
Examinons les Droits de ces trois cultures :
II - Les droits
Remarquons d'abord qu'il est convenu
d'appeler « droit » ou « système juridique »
des systèmes d'organisation sociale. On dit que ces systèmes sont composés de
lois. Mais il est évident que ce type de langage est latin et qu'il s'applique
fort mal à d'autres formes de pensée même proches de nous. Ainsi les
commandements « d'aimer son Dieu » ou « d'aimer son
prochain » peuvent-ils vraiment être considérés comme une loi ?
Quoi qu'il en soit, en approximation, on
peut conserver la terminologie de « droit » et estimer que
dans notre environnement occidental existent trois types de Droit principaux
actuels correspondants aux trois mots-clés précédemment cités, soit le « droit
musulman », le « droit romain » et la « common
law ».
1) Parmi les droits sémitiques,
le droit musulman a joué une importance considérable au Moyen-Age dans le
développement des soins aux malades mentaux.
Certes il légifère les notions d'aliénation
et de tuteur, mais il recommande la tolérance comme d'ailleurs le faisait le
christianisme de Jésus.
Au
Moyen-Age les campagnes et les villes du monde arabe fourmillaient de prophètes
itinérants. L'islam recommande au médecin comme à tout croyant d'être avide de
science. La langue arabe qui en fut le véhicule, permit la confrontation entre
les écrits des grecs anciens, les travaux des persans (Avicenne était
iranien), des syriaques, les travaux propres aux médecins andaloux, juifs,
chrétiens ou musulmans et naturellement la transmission des savoirs indiens et
chinois.
Ce droit a permis l'extension généralisée
des « Bimaristans »[12]
du Moyen-Orient vers l'Espagne et le Maghreb.
A titre de comparaison, à la même époque en
France n'existaient que des « Hôtel-Dieu », ancêtre des
Hôpitaux. Ces deux mots sont d'ailleurs le même, hôpital étant sa forme savante
et hôtel la forme populaire. Ils n'hébergeaient d'abord ni malades, ni
médecins, sinon indigents, sans-domiciles et quelque personnel d'accueil. Leur
intérêt était d'apporter toit et nourriture.
« Le
mot malade, lui, vient du latin « male habitus » et apparait
sous forme « malabde » en 980.
Si les léproseries furent appelées « maladreries »,
c’est sans doute par un croisement entre le mot « maladerie »
(“75) et le mot « ladre », forme populaire du mot « Lazare »,
lui-même transcription de l’hébreux (« Dieu a donné ») : ce
mot témoigne donc d’une synthèse édifiante de la rencontre culturelle.
Les Bimaristanes accueillaient toutes
sortes de malades, y compris des malades mentaux, de toute nationalité et de
toute confession. Ces établissements étaient visités par les Juges (« Hakim »)
jusqu'à une fois par semaine.
Un premier bimaristan soignant des aliénés
est signalé à Dayr-Hizkil (« Dayr » =
« monastère » ) entre Wasit et Bagdad vers 850 après
J.-C. Le droit musulman qui permit le développement de ces réalisations était
véhiculé par une langue arabe dont l'universalité en méditerranée était telle
entre le VIIIe et XIIe siècle[13]
que certains papes proclamaient leurs « bulles » en arabe pour
être compris et entendus à Séville par exemple.
La médecine arabe est entrée en France, par
Montpellier surtout, dont l'université connut un essor considérable à partir du
XIIème siècle.
Mais si la science arrive, la religion elle
se perd. Autant, d'ailleurs, celle de l'Islam que celle de Jésus, qui se
transforme sur place. Fini le temps des cathédrales, du mysticisme et de la
charité.
On entre déjà dans l'ère de la science
appliquée et de l'organisation administrative du monde occidental moderne.
Cette science, c'est l'Islam qui en a permis
l'élaboration ou qui l'a véhiculée. Mais l'Islam en tempérait peut être
l'utilisation. Sans le frein religieux, on ne gardera que les fruits de la
science, ce qui est peut être une explication du développement prodigieux des
applications qui suivront. On a d'ailleurs dit la même chose à propos des
interdictions de l'Eglise à certaines époques.
On retiendra de l'apport de cette
« arabophonie » qu'elle a permis le développement d'une médecine de
qualité et de la psychothérapie en son sein.
Pas plus alors le « judiciaire »
que le « policier » n'étaient consubstantiels à l'exercice de
cet art, sinon « normalement » présents.
Mais bientôt les espagnols de la « Reconquista »,
Inquisition à l'appui, s'évertueront à faire disparaître jusqu'à tout symbole
d'arabité en Andalousie. Cordoue fut pillée, Medinat-az-Zahara
totalement détruite, les mosquées revêtirent des clochers et les carillons
prirent la place des « muezzin ». Même les chameaux furent
évincés de la péninsule.
2)
Le Droit romain
s'est réveillé en France vers les XIIe-XIIIe siècle. Il supplanta alors
progressivement ce que le Moyen-Age français avait pu avoir de sémitique,
conséquence des grands principes de la chrétienté de, l'influence rayonnante de
l'islam et de la judéité[14].
Il faut se souvenir que les premiers
chrétiens étaient grecs, sémites et égyptiens, trois peuples subjugués par Rome
( respectivement environ en -146, -70 et -30, dates très importantes sans doute
dans l'explication de l'apparition du christianisme). Rome s'opposa 300 ans au
christianisme avant de l'adopter. Ensuite l'Eglise Catholique Romaine est
devenue progressivement formellement plus latine qu'orientale. Mais le fond
reste encore bien présent : On trouverait peut-être, en approfondissant les
recherches, parmi les héritages des grecs : « la passion de Socrate »
(telle que écrite par Platon, par exemple, lui, élève de l’Egypte, et
croyant en l’immortalité de l'âme), parmi les héritages des hébreux : la « réalisation
des écritures », quitte a tout réécrire, parmi les héritages des
égyptiens : « la trinité familliale idéale : Isis, Osiris et Horus »,
« la fécondation de la mère terrestre par le dieu céleste »,
« le mauvais « Seth » = « Satan » qui
est stérile, « la croix ankh » clé du Paradis, « le
poisson » (qui a avalé le phallus d'Osiris) avec le dessin
duquel les chrétiens signaient en graffitis pour écrire « I X TH U
S » = « poisson », mais aussi les initiales en grec de :
« Iesus Xristos THeou Uios Sauter » = « Jesus Christ Fils du
Dieu Sauveur » etc.. Mais, déjà, la notion de « Pape »
est typiquement latine, dérivée de la Puissance du « Pater »
(droit paternel et non père biologique) (avec ses corollaires que sont « un
oedipe » omniprésent et un esprit de compétition sans équivalent dans
les autres cultures !). A partir du XIIe siècle l'influence de l'Islam est en
régression en Europe.
Il faudra encore du temps à l'Europe pour
comprendre l'algèbre et le « zéro » (qu'elle confondra longtemps avec
le mot « chiffre » puisque « sifr » en arabe veut
dire zéro et que zéro veut dire « sifr » en italien…, mais le
ton est donné.
On verra déjà poindre une société
industrielle dont le droit romain fait le lit.
Cette longue parenthèse d'une société
intimiste, psychologisante et oblative qui avait commencé avec la période
héllénistique se termine ici, avec un retour au droit romain et une
redécouverte des grecs, mais au travers d'un nouveau filtre dit
« scientifique », et sans bien sûr reprendre leurs pensées
religieuses animistes on « monotheifia » ce qu'avait été le
« logos politique », pour en faire progressivement « La
Raison », à laquelle on rendra plus tard un culte.
Du monothéisme on passera au
monolithisme : C'est pourtant bien mal traduire le mot « logos »
que de le traduire par « raison » (terme latin « ratio »,
de la racine « re- » dans le sens de « répétition »)
terme mathématique avant d'être philosophique.
Mais dès lors le Moyen-Age est fini.
Caricaturalement, on pourrait opposer les
cultures sémitiques aux cultures gréco-latines :
·
La culture
grecque surtout
magnifie le « héros » (jeux olympiques !) et instaure en guise de
remède aux défaillances de la fonction paternelle[15], et de son rôle protecteur, le
« bouc émissaire » qui est encore une sorte de héros, mais haï au
lieu d'être vénéré.
Ces
deux « énormités » sont des aléas de la fonction paternelle.
Même,
la violence par elle-même peut être un « remède », lequel ne fait
guère la différence entre le domaine purement médical et le domaine social. De
toute façon il privilégie le groupe par rapport à l'individu.
Ainsi,
de la « lapidation-ostracisme », on rapprochera la « lapidation-thérapie ».
Citons J.-P. Vernant[16]
: « Pausanias a vu dans le sanctuaire, d'Héraclés à Thèbes, une pierre
qu'Athéna était censée avoir jetée à la tête du héros furieux quand égaré par
la « mania », ayant massacré ses enfants il s'apprêtait à tuer
Amphitryon. Cette pierre qui l'avait endormi et calmé s'appelait
« Sophronister »[17] »
·
La
culture sémitique,
elle, produit des prophètes et des illuminés[18]".
Moïse[19], Jésus, Mohammed,
fondateurs des trois grandes religions dites monothéistes se comportaient en
prophètes. Mais les « mecquois » adversaires de Mohammed
l'insultaient en le traitant de « Majnoun ». Les prophètes et
les illuminés s'expriment par parabole, images, allusions, alors que héros et
boucs émissaires s'exprimaient en actes et en agi.
Les
institutions sémitiques sont beaucoup moins « paternalisées »[20].
Les accords entre tribus remplacent la hiérarchie pyramidale. L'organisation
est plus protéiforme. L'horreur du sang est omniprésente. L'inceste n'est pas
repéré par rapport à l'épouse du père, mais par rapport à l'allaitement. En
arabe il n'y a ni « Pape » ni « Patrie » pour glorifier le
signifiant paternel mais des « imam »[21]
et des « pays de sédentarisation »[22].
3)
Mais pendant que Saint-Louis, qui fut
probablement le dernier roi pieux français organisait quelqu'ultime croisade et
consolidait son royaume, c'est une fortune toute contraire que souffraient ses
cousins anglais.
En
effet, tandis que la Monarchie française s'absolutisait avec Philippe II devenu
Auguste après la bataille de Bouvines, les lords anglais avaient obligés le roi
Jean devenu sans-Terre à signer la Magna Carta en l'an 1215 en 63
clauses :
« Nul
homme libre ne sera pris ni emprisonné, ni dépouillé de ses droits et
possessions, ni mis hors la loi, ni exilé, ni en aucune façon ruiné, et nous ne
marcherons ni ne manderons contre lui sinon en vertu du jugement légal de ses
pairs ou de la loi du pays... »
Elle
instaure un parlement au-dessus de la monarchie. Cette charte est l'ancêtre
lointain de la déclaration de « l'Habéas Corpus..." de 1679.
Ainsi
se constituait dès lors ce qui est le 3ème Droit, celui de la Common Law.
Il
semble que ce qui préside à ce système soit une grande méfiance à l'égard de toute
grande idéologie et la recherche d'un pragmatisme efficace.
Nous
en reparlerons dans l'article suivant.
III
- Conclusion
Cette
abondance de termes rares, étrangers ou savants, cette
« polyglossie » nous incite à une grande prudence sémantique :
« Pharmacos »
ne signifie pas « majnoun » et « majnoun »ne
signifie ni « mania », ni « démens », ni
« fou », ni « loco » ni « crazy »,
ni « matto », etc.
De
l'éclairage dépend le champ de recouvrement. Il faut avoir présent à l'esprit
quelques notions de linguistique.
Dans la synchronie, on ne peut jamais
traduire un mot par un autre.
Dans la diachronie, un même mot change de
sens avec le temps.
Ceci
explique suffisamment ce que l'on sait déjà, à savoir que chacun a sa petite
idée sur la définition de la folie, et, partant, de la psychiatrie. Mais, bien
sûr, un phénomène reste constant : c'est « le principe de repérage »,
voire « de marginalisation » d'une personne ou d'un être.
Et
il n'est pas équivalent d'être l'objet d'un repérage policier ou médical ou
judiciaire.
Mais
combien plus problématique encore n'est-il pas de réunir, comme on le voit
parfois faire, deux ou trois de ces domaines, traités par une seule et même
instance, personne ou commission, et ce au mépris de ce qu'on appelle encore en
France depuis Montesquieu la « séparation de pouvoirs ».
Parfois le choix est nécessaire car on ne peut tout réunir.
Au Moyen-Age la question ne pouvait pas
manquer d'être problématique d'intégrer des hôpitaux construits sur les modèles
d'un système médical arabo-persan[23],
dont la réputation n'est plus à faire, en particulier dans le domaine de la
psychiatrie, dans un système de droit romain ignorant tout de la parabole, de
l'allusion et de la psycho-genèse dans les troubles de la santé[24].
Si passer du prophète au héros peut encore
s'inscrire dans un système de « vénération », passer de l'illuminé au
bouc émissaire revient à pervertir tout le système de soins. Or il y a eu un
télescopage. La qualité de « majnoun » sera désormais appréhendée à
travers un système administratif habilité à recueillir un
« pharmacos ».
Un
illuminé peut être écouté, interprété, discuté, mais respecté. Bien plus, il
n'y a pas toujours de rupture entre le prophète et l'illuminé (ni entre le
malade et le bien-portant).
A
l'inverse, un bouc émissaire est le résultat d'un rejet de type policier et il
n'y a pas continuité sinon renversement antinomique entre le héros et le bouc
émissaire.
En
traitant le « majnoun » comme un « pharmacos »,
l'interlocuteur passe d'une fonction de psychologue à celle d'une assistance
sociale ambigüe.
En
même temps, sur le plan du droit romain (alors que le « majnoun »
était un citoyen ordinaire), le bouc émissaire fait l'objet d'une sorte de
« mandat d'expulsion » sans procès..
Dans
le cas qui nous occupe, cette expulsion se fera à l'intérieur même du pays,
dans des lieux qui de ce fait prendront des allures carcérales mais hors du
champ judiciaire.
Il
deviendra alors difficile d'y être thérapeute, mais cela sort du cadre de notre
présent exposé.
La
justice n'est pas saisie dans ce processus de « cohabitation
sauvage » qui ne se joue qu'entre le médecin et le policier. La justice
pourrait avoir à juger des actes d'un illuminé, mais celui-ci peut ne pas
produire d'actes. La justice n'a pas dans le droit romain pour mission de juger
les pensées en l'absence d'actes.
On
a vu que dans les systèmes religieux monothéistes d'origine sémitiques, il en
allait autrement car Dieu juge les pensées[25].
Mais
précisément ce jugement des pensées en droit romain et en terre laïque ne peut
être légalisé comme tel, à fortiori si la liberté d'opinion est proclamée par
le régime.
Rien n'illustre plus remarquablement cette
incompréhension qui existe parfois encore entre le mode de pensée sémitique et
le mode de pensée latine que ce dialogue entre Jésus et Pilate :
—
«Es-tu le roi des juifs ?» demande le Romain en se plaçant au centre
d'un système terrestre de hiérarchie pyramidale.
—
«Mon Royaume n'est pas de ce monde» répond allusivement Jésus en se
plaçant dans un système symbolique et marginal.
Pilate
ne comprend rien à cette réponse.
Dès
lors, sur quel délit pourrait se fonder le châtiment de Jésus ?
La
justice n'a aucune place dans cette confrontation.
Pilate
ne saura avoir recours qu'à l'élimination pour solde de tout compte tout en
reconnaissant l'inadéquation du « remède ».
Parmi les éléments que nous avons évoqué,
bien sûr, tant dans les idéaux que dans les pratiques, toutes les nuances, les
échanges, les inversions ont pu exister, qui nécessiteraient un développement
plus long.
Il
n'en reste pas moins que les concepts dégagés ici ont existé : Ils
conditionnent pour une part notre vécu moderne, et peuvent nous aider à
appréhender certains paradoxes dus à leur hétérogénéité dont nous venons de
tenter un bref aperçu.
Finalement, ce n'est que dans un troisième
système de droit et seulement à partir du résultat, de la sanction,
condamnation à mort ou privation de liberté que pourra être évoqué le rôle de
la justice dans le sort du marginal, celle-ci se sentant interpellée par une
sanction sans procès, et en lui concédant une fonction rétrospective dans une
antériorité omise, de protection du citoyen contre l'arbitraire policier, les
lettres de cachet, etc.
Et c'est là qu'intervient l'Habeas
Corpus. Mais comme il est illusoire d'attendre d'un homme privé de liberté
(parfois même demandeur ou désireux de l'être !) qu'il soit en possession
des moyens de réclamer une telle procédure, celle-ci devrait être systématique,
dès et dans toute privation de liberté.
Sans doute la Justice — toujours
insuffisante — se trouve-t-elle désormais interpellée et sollicitée par une
psychiatrie — aujourd'hui contingente —
chaque fois que l'étrange comportement humain franchit ou pose la
question du franchissement d'un interdit, dans l'exacte mesure où cette
tragédie athénienne que nous avons évoqué plus haut, contingente elle aussi,
interpellait « le droit en train de se constituer » dans les
tribunaux des premières démocraties connues, celles des cités grecques.
Le rapport n'est évidemment pas fortuit.
I. Sur la Grèce ancienne
J.-P. VERNANT et
P. VIDAL NAQUET, Mythes et tragédies en grèce ancienne. Ed.
Maspero, Paris 1977.
SOPHOCLE, Oidipous
Turannos. Traductions multiples dont celle de Maurice CROISET en juxtalinéaire.
Ed. Dezobry et Magdeleine, Paris 1854.
Jacqueline de
ROMILLY, "Patience mon coeur". L'essor de la psychologie dans la
littérature grecque classique. Ed. Association Guillaume Budé, Paris 1984.
P. CHANTRAINE,
Dictionnaire étymologique de la langue grecque, histoire des mots. Ed.
Klincksieck, Paris 1968.
II. Sur le monde musulman
Docteur Lucien
LECLERC, Histoire de la médecine arabe. Le Caire 1876. Réédité par le Ministère
des « Habous » et des affaires islamiques. Rabat 1980 Maroc.
Encyclopédie de
l'Islam, Aux mots « Madjnoun » et « Bimaristane ».
Réédition en cours. Maisonneuve et Larose, Paris.
Série télévisée
« Es chems el arab » (le soleil arabe). Documentation sur la
médecine médiévale au Proche-Orient et dans Al Andalous. Chaîne de télévision
M.B.C. Londres 1992.
Danielle JACQUART
et Françoise MICHEAU, La médecine arabe et l'occident médiéval. Maisonneuve et
Larose, Paris 1990.
Mohammed ARKOUN, L'humanisme
arabe IV-Xe siècles. Ed. J. Vrin 1970.
Le Coran.
Traduction KASIMIRSKI. Flammarion 1970.
III. Sur
l'occident médiéval
Robert FOSSIER, Le
Moyen-Age, 3 tomes, Armand Colin 1982.
H. Ch. LEA,
Histoire de l'inquisition au Moyen-Age. 3 tomes, 1ère
édition New York 1887. Réédition
Jérôme Millon 1986.
Histoire de la
France religieuse. 3 tomes parus sous la direction de Jacques LE GOFF 1988.
Juan VERNET, Ce
que la culture doit aux arabes d'Espagne. Edition Sindbad.
Cahiers de
Franjeaux n° 18, Islam et chrétienté dans le Midi XII - XIVe siècles. Ed.
Privat 1983.
IV. Points
particuliers
Pour la
« Carta magna »: Deux nouvelles Monarchies.
Christopher GIVEN-WILSON et Michael PRESTWICH. Ed.
time Life Books, Amsterdam 1989.
Pour la parole de
« l'itinérant » en Afrique du Nord : voir le rôle de l'acteur metteur
en scène LAKHDAR AMINA dans le film « Les années de braise »,
Alger 1975.
Sur la Séparation
des pouvoirs : MONTESQUIEU, l'Esprit des lois. L'intégrale, Seuil 1964.
Sur le mot « Père »
: Emile BENVENISTE, Noms d'Agent et noms d'action en Indo-Européen (1ère
édition 1948). Réédition Adrien Maisonneuve 1975.
Sur les
« démons de la nuit » : SHRI AUROBINDO, « Le secret du Veda »,
tome 5, pp. 215-219. Ed. Cahiers du Sud, Abbeville 1954.
Pour le
vocabulaire arabe : Dictionnaire ES SABIL. Daniel REIG. Ed. Larousse 1983.
Sur la place de la psychanalyse dans la médecine, voir
les interventions de Jacques LACAN dans une table ronde publiée par les cahiers
du collège de médecine, Paris 1966.
Sur les
Bimaristans en Espagne : « Au-delà des Pyrénées » texte de
l'Atelier présenté par les dr. M.Gasque et J.de Person au CHS de Fleury-les-Aubrais (45) le 20
mai 1988.
« El
Maristan de Granada » par L. TORRES BALBAS in revue « Al
Andalus » tome II, p. 481-498, Grenade Espagne 1944.
Visite de
l'Hôpital de Saragosse par Philippe PINEL relatée dans « Police des
Etablissements consacrés aux aliénés », pp. 238 - 241.
________________
[1] Ce texte, sous forme de trilogie conceptuelle et
non historique, a été écrit dans le but de constituer une introduction au texte
suivant sur l'Habeas Corpus.
[2] En grec existaient trois genres pour le nom : le
masculin, le féminin et le neutre. Le neutre est en principe dans les langues
Indo-européennes le genre de l'inanimé. Ainsi Pharmacon, du genre neutre désigne
le fard ou la substance qui est remède. Le genre animé comprend le masculin et
le féminin. Pharmacos au masculin désigne celui est est remède, le bouc émissaire,
cette collusion étant inscrite sémantiquement dans le mot. Ce sens est vivant
chez Hipponax (VIe siècle av. J.-C.), chez Aristophane et chez Lysias (Ve siècle).
Il s'y ajoute le sens de "scélérat" chez Démosthène (IVe siècle).
[3] Pratique normale non seulement en Grèce, mais même
dans cette colonie de Phocée appelée Massilia (Marseille).
[4] Cf. "La responsabilité au Ve siècle Athénien".
Dr de Person in Psychologie médicale. 1982
[5] C'est une erreur de traduire le titre de la tragédie
de Sophocle Oidipous Turauuos (oidipous turannos) par "Oedipe-Roi".
Il faut le traduire par "Oedipe-Tyran". Oedipe a pris la place
"du Roi", en tant que "tyran", en défiant les lois de
l'inceste sans le savoir et en croyant défier les lois de l'hérédité
(auxquelles on n'échappe pas) sans le faire.
Le Roi Laïos son père était aussi le père de la cité (de Thèbes).
Oedipe a brisé la chaîne de la transmission et déchaîné le malheur. Ici le
peuple est comme une grande famille qui a besoin d'un bon père. Sophocle
insiste largement sur le caractère péjoratif du mot "tyran", qu'il
oppose à"basileus" (Basileus), "Auax"
(Anax) ou "Hgemwu (Hêgémôn).
Par exemple au vers 873, le choeur récite : " gbris juteuei turauuou ...". ("la démesure engendre le
tyran..." etc.). La pièce fustige la tyrannie.
En cette époque, souvent, un tyran issu du peuple et appelé par lui
s'instaurait à l'encontre de l'aristocratie et de la monarchie héréditaires ;
mais le tyran faisait souvent alors le malheur du peuple.
Les commentateurs, de la Renaissance au XVIIIe siècle, faisaient généralement
de cette pièce une tragédie du pouvoir.
La confusion de la traduction du terme s'explique peut être alors par
le fait que le mot Roi en France, par son absolutisme, et en oubliant la
question de l'hérédité, signifiait presque tyran. Par contre il est totalement
faux de dire que le mot tyran en grec signifiait roi. D'ailleurs le mot roi
(Basileus) avait un sens assez faible sur le plan du pouvoir. Son rôle était
local (dans la cité) et représentatif (rôle religieux). Au contraire Oedipe
prend, puis perd "tout" le pouvoir (dans la démesure). Par contre une
des premières traductions, en Italie, en 1585, à Vicence, par Orsatto
Giustiniani dit correctement "Edipo Tiranno".
[6] Quand l'hellenisme a-t-il rencontré le judaïsme ?
Traditionnellement la Bible fut traduite en grec (version
"septante") dans l'île de Pharos (Alexandrie) en 283 av. J.-C., événement
grec plus que juif car le "peuple élu" ne faisait aucun proselytisme.
[7] On peut même ajouter encore au crédit de la
"synchronie" des cultures en disant ceci : qu'il s'agisse du monde
islamisé, de Byzance, de l'Europe chrétienne ou des diaspora juives, l'heure
dans cette partie du monde est au monothéisme et parmi ses multiples variantes,
les différences ne sont pas encore aussi radicalisées qu'aujourd'hui. Les chrétiens
monophysites étaient très proches des premiers musulmans. Les musulmans
Mutazilites très proches des chrétiens rationalistes, etc..
[8] Ce mot
vient de la racine "JANNA" qui signifie : cacher, plonger dans
l'obscurité de la nuit. De la même racine Janna signifie : jardin, Paradis.
Rien n'exclut d'ailleurs des
rapprochements possibles des jinns avec les démons d'autres civilisations tels
les Dasious (démons de la nuit, ennemis du mot) dans la littérature védique,
ancêtres possibles de Laïos, père d'Oedipe.
[9] Il faudrait se garder d'entendre ici le mot médical
dans son acception occidentale d'aujourd'hui. Le médecin arabe du moyen âge se
prévalait d'ailleurs de la tradition galénique : "Le médecin, le meilleur
est aussi philosophe".
: .. aristos iatros xai φilosoƒos
[10] Cf. Thèse
de doctorat en Médecine. L'assistance aux fous en Espagne au Moyen-Age et à la
Renaissance. Claire Rousselle. Paris, 1991.
[11] Voir note 4.
[12] En iranien Bimar signifie malade, Stan indique le
lieu, Bimaristane signifie donc le lieu où l'on soigne les malades. Nés au début
du Moyen-Age, ces hôpitaux comportaient des médecins, des spécialistes, des
pharmaciens, des étudiants, des infirmières, etc. Ces bimaristanes sont apparus
d'abord dans la région de Gundaïshapur en Iran et furent répliqués par la suite
à Damas, Bagdad, le Caire, Tunis, Fès, Marrakech, Grenade en Espagne, etc. c'étaient
de véritables CHU.
[13] Les musulmans entrent en Europe en 711 par
Gibraltar et sont arrêtés entre Poitiers et Toursen 732. Ils s'installent alors
en Espagne et rayonnent dans le sud-ouest et surtout le sud-est de la France
jusqu'à Lyon et même Sens mais non jusqu'à Paris. L'apogée de l'Islam en
Espagne se situe entre la victoire de Zalaca en 1086 et la défaite de Las Navas
de Tolosa en 1212, qui se terminera par la prise de Cordoue par les Chrétiens
en 1236. On connaît la prise de Grenade en 1492. La révolte morisque dans les Alpujarras est vaincue en 1571.
L'Islam est alors presque défait en Espagne. L'inquisition fera le reste.
Chaque mise en difficulté des musulmans en Espagne eut pour conséquence soit
l'arrivée de renforts venus d'Orient ou du Maghreb, soit la fuite des
"Andalous" vers le Maghreb au sud ou vers la France au Nord.
[14] Si Louis IX dit Saint-Louis est encore imprégné
d'idéologie chrétienne, ce n'est pas le cas avec Philippe IV dit Le Bel dont la
cour est envahie de légistes de Droit Romain. Il s'emparera tout simplement de
la personne du Pape en 1303. Un Pape français sera élu et le Saint-Siège transféré
en Avignon en 1305.
[15] Cf. Oidipous Turannos, 1982. J. de Person. Inédit.
[16] J.-P. Vrenant. Les origines de la pensée grecque.
P.U.F.,
1962, p. 85.
[17] Sophronister signifie mot à mot : instrument pour
la bonne santé mentale. L'instrument est simple ! ...
[18] Elle a produit aussi, on le sait, depuis bien
avant le Moyen-Age des psychothérapeutes et à partir de Freud des
Psychanalystes.
[19] Le "Moïse" tel que décrit dans la
Bible, sinon le Moïse historique (égyptien pour Freud).
[20] Si l'on voulait considérer le développement
paternel selon les deux axes du vocabulaire Indo-Européen, comme le fait Emile
Benveniste, c'est-à-dire avec les dérivés de "Pater" pour le père transcendantal,
et "atta" pour le père individuel, il s'agit ici du premier sens. Il
est difficile de retrouver les mêmes distinctions dans le vocabulaire sémitique.
[21] Imam = de la même famille : Amama = devant ; oum
= mère.
[22] Watan = demeure, berceau, d'abord au sens figuré.
[23] On citera ici l'Hospice fondé vers 1070 à Jérusalem
pour soigner les pèlerins. Il sera à l'origine de l'ordre de Saint Jean de Jérusalem.
Ultérieurement cet ordre se répartira dans toute l'Europe et deviendra Ordre de
Malte en 1530.
[24] Encore aujourd'hui on est assez embarrassé par le
caractère chaotique de toute la terminologie de ce qui est "psycho", étant
convenu que depuis le débitage en tranches de l'individu humain, psyché
signifie esprit par opposition à soma corps anatomique. En grec ancien chez Homère,
psyché c'est d'abord la vie ou le principe vital et soma le corps mort. Il ne
se partage pas l'espace comme dans la médecine actuelle. L'embarras vient de ce
que le vocabulaire savant du XIXe siècle, donc grec ou du Moyen Age, grec
parfois, mais souvent revenu à partir des textes arabes s'est égrené et abattu
sur et parfois contre une base populaire romane qui ne le comprenait pas,
miette par miette, sans pensée d'ensemble, au gré des arrangements (voir texte
suivant) : par exemple la "Mélan-cholie" ou bile noire a perdu sa
transparence en devenant "Malikhoulia" en arabe. Les transcriptions
romanes en sont variées à l'infini ; ("Malencónico" pour l'Archiprêtre
de Talavera — en 1438 — ) ; de même, la description des troubles varie considérablement
; et même aujourd'hui, en français, après rétablissement du terme correct, nous
n'en percevons plus le sens étiologique. Le mot est synonyme de la lypémanie
d'Esquirol, (3'πh - Lupé =
tristesse, douleur de l'enfantement) mot plus logique d'ailleurs, dans le sens
actuel ou nous l'employons que le mot mélancolie.
Si névrose se
rapportait aux nerfs, à tort ou à raison, le terme de psychose est particulièrement
odieux à qui pense qu'il n'y a pas de pur esprit, et donc pas de pure maladie
de l'esprit, ce qu'indiquerait pourtant le terme. "Somatose" n'existe
pas. Même le terme de psychothérapie est compris différemment par ceux qui en
font un traitement "de" l'esprit et ceux qui en font un traitement
"par" l'esprit.
Comme qerape'ein
(therapeuein) veut dire : rendre culte à ... ; prendre soin de ... ; on ne
saurait dire... Mais les difficultés sont bien plus au niveau de l'accord
conceptuel qu'au niveau des étymologies. Il ne faut pas perdre de vue qu'un mot
— peu importe sa fabrication — n'a de valeur que par rapport à l'ensemble du
vocable. Dans certains cas l'ensemble peut organiser les mots. Dans d'autres
cas les mots peuvent organiser l'ensemble d'une manière cohérente ou non,
utilisable ou non.
Le terme de "schizophrénie", lui, est franchement surréaliste.
[25] En fait les systèmes dits religieux n'ont pas
toujours l'apanage de ce procès des pensées. En ce sens il n'y a pas toujours
lieu d'opposer un droit dit religieux à un droit dit laïc. La laïcité peut même
être intolérante au nom d'un Idéal qui devient à son tour un équivalent de
Religion.