Comment on enfermait les fous sous Louis XIV

(in la « Newsletter envoyée par e-mail par EGORA » le 21 Juillet 2013

Extrait minimal pour sensibiliser au sujet

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Les motifs d'enfermement sont nombreux, mais doivent être longuement explicités et accompagnés de témoignages (celui du curé de la paroisse notamment) : mettre fin à la délinquance d’un fils de famille avant que la justice ne s’en mêle, au libertinage d’une fille (ou d’une veuve), mettre hors de circuit des maris violents ou des épouses folles de leur corps, empêcher la mésalliance, enfermer un fou, enfin. À chaque fois, une enquête soigneuse est menée, et gare aux faux témoins.

 

Sous le règne de Louis XIV, avec la création de l’Hôpital général, les fous furent-ils réellement les victimes d’une politique d’exclusion systématique visant à les soustraire définitivement de la société ? Une vision romantique de la folie, longtemps en vogue, mais que dément une analyse minutieuse des archives.

 

De toutes les époques, celle de l’Ancien Régime est particulièrement mal connue pour ce qui concerne l’histoire de la folie. Nous entendons ce dernier mot dans son sens pathologique, la folie telle qu’elle a été parfaitement aperçue, étudiée, soignée depuis la plus haute Antiquité. Mais l’Ancien Régime (XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles) est une période encore trop longue ; nous resterons ici au siècle dont Michel Foucault s’empara avec le succès que l’on sait : le siècle de Louis XIV. Mais celui-ci étant à son tour très long (1661- 1715), nous allons l’observer à ses débuts et à sa fin, en deux coupes en quelque sorte.

 

Enfermés sur demande de la famille

 

N’en déplaise aux tenants de la thèse de Michel Foucault, l’édit de 1656, qui fonde l’Hôpital général de Paris, n’est en aucune manière dirigé contre les fous, qu’on appelle alors les insensés, mais contre les mendiants errants et valides qui désolent le royaume tant ils sont nombreux au lendemain de la Fronde. [ … ?]

En fait, c’est ailleurs qu’il faut chercher les insensés internés, en se tournant non vers les « pouvoirs »  mais vers les demandeurs de toujours que sont les familles. Des fous dont la famille ou la communauté proche s’accommode tant bien que mal, il y en a toujours eu (et ils sont évidemment mieux tolérés dans des sociétés rurales que dans des sociétés urbaines – question, entre autres, d’espace).

Cela n’empêche pas une demande potentielle d’internement, qui va se trouver progressivement et très partiellement satisfaite sous le long règne de Louis XIV par l’institution des lettres de cachet. L’historiographie révolutionnaire et post-jacobine, et avant elle les philosophes du siècle des lumières, ont dit pis que pendre de la lettre de cachet, cet « instrument de la tyrannie des rois ».

C’est oublier que dans plus de 90 % des cas (pour ne pas dire 95 %) ce sont les familles qui demandent une lettre de cachet au roi (Louis XIV qui fait arrêter Fouquet par une lettre de cachet portée par un certain d’Artagnan, sous-lieutenant des mousquetaires, c’est très vilain mais c’est à la marge). Avec l’institution des intendants de généralités en province et celle du lieutenant général de police à Paris (depuis 1667), un mécanisme d’internement s’est mis en place et a rapidement atteint sa vitesse de croisière.

une enquête soigneuse est menée, et gare aux faux témoins. L’Ancien Régime ne plaisante pas du tout là-dessus, ni d’ailleurs sur le reste.

Pour la folie, il s’agit le plus souvent de se protéger d’un fou furieux qui a voulu mettre le feu (une hantise à cette époque) ou qui a commis des actes de violence sur son entourage. C’est à tout le moins un trublion : « Il court les chemins, insultant tout le monde, blasphémant et jurant, se déshabillant tout nu et se présentant à tout sexe dans des postures indécentes … »

C’est aussi assez souvent un idiot ou une idiote que la mère gardait depuis toujours. Et puis la mère vient de mourir et il n’y a plus personne pour s’en occuper. Cela finit par faire nombre.

 

« maisons de force »

À chaque fois, la demande de lettre de cachet doit être accompagnée de la mention d’un lieu d’internement et de son prix de pension. Car il faut payer pension, et il faudra attendre la loi de 1838 pour que s’installe une prise en charge des indigents par le département – on pourra alors commencer à parler de « Grand Renfermement » avec les débuts du « siècle d’or » de l’asile. Or, ces prix de pension sont très différents selon les établissements, bientôt appelés « maisons de force ».

Celles-ci n’internent, en principe, que par lettre de cachet qui apparaît alors, et paradoxalement à nos yeux, comme une garantie contre l’internement arbitraire à la seule diligence de la famille. Des maisons de force, il y en a à tous les prix. Ce sont la plupart du temps des communautés religieuses, par exemple.

Motifs explicites et accompagnés de témoignages

Les motifs invoqués par les familles sont nombreux, mais doivent être longuement explicités et accompagnés de témoignages (celui du curé de la paroisse notamment) : mettre fin à la délinquance d’un fils de famille avant que la justice ne s’en mêle, au libertinage d’une fille (ou d’une veuve), mettre hors de circuit des maris violents ou des épouses folles de leur corps, empêcher la mésalliance, enfermer un fou, enfin. À chaque fois les Charités des frères de Saint-Jean-de-Dieu qui donnent naissance notamment à Saint-Lazare et à Charenton. Mais aucune de ces maisons ne reçoit exclusivement des insensés.

On y trouve aussi des « pensionnaires de force » (les autres motifs) qui sont strictement séparés des insensés auxquels ils ne sauraient être assimilés. Ces derniers sont des malades, reconnus et vaguement soignés comme tels. Les maisons "haut de gamme" sont à 1 000, voire 2 000 livres par an sans parler des suppléments. Le bas de gamme à 150 livres. C’est le cas de Bicêtre et de La Salpetrière qui, tout en restant Hôpital général, deviennent par ailleurs, ipso facto, des maisons de force. 

Insensés minoritaires

En 1701, leur population ne comporte encore qu’une minorité d’insensés dans des quartiers – nous y insistons – strictement séparés : une centaine d’insensés et d’épileptiques à Bicêtre sur 1 500 enfermés, 300 « folles violentes ou innocentes » et 92 épileptiques à La Salpetrière sur un total de 4 646, et sur ce total, 1 894 enfants de moins de 15 ans. Oscillant entre 5 et 10 %, le nombre des insensés internés est loin de poser problème, là comme ailleurs.

En fait, il faut attendre la circulaire de 1785 pour que la question de l’internement des insensés devienne un problème national : « Instruction sur la manière de gouverner les insensés et de travailler à leur guérison dans les asyles qui leur sont destinés » (qui, sous la plume de Michel Foucault, se réduit à : « Instruction sur la manière de gouverner les insensés »; ce n’est plus du tout le même sens)

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