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1). 25 juillet 1918 « Le recul du
temps »… lu dans : « Le pays de
France » N° 197 du 25 juillet 1918 - Les cas
de folie ont-ils augmenté
pendant la guerre ? Cette
opinion, commune et à peu près exacte, que la guerre est une cause
d'augmentation des cas de folie risquerait d'être erronée, si l'on s’ en
tenait aux statistiques qui furent publiées après la guerre de 1870. Au 1er
janvier 1871, en effet, les asiles français contenaient une
population numériquement égale ou presque à celle recensée le 1er janvier 1870 : 38.100 au
lieu de 38.036. L'année suivante, on en recomptait 713 de moins. On a
attribué cette diminution, pour les asiles publics, à la perturbation
apportée dans le fonctionnement du service, à la parcimonie des administrations
départementales : pour les asiles privés, aux changements dans la
fortune des familles. Mais il a
paru à des aliénistes célèbres : Esquirol, Baillarger, Morel que la
cause principale était la suspension des causes habituelles qui
agissent dans les moments de calme. de prospérité : « Si les
bouleversements politiques, dit Baillarger, amènent avec eux des causes
réelles et puissantes de folie, il faut
reconnaître aussi qu’ils suspendent d'autres influences qui, dansl es
temps de calme et de prospérité, produisent souvent cette
maladie ». C'est une opinion qui peut se
défendre. Mais, particulièrement en ce -qui concerne les documents publiés sur la
guerre de 1870, il ne faut pas oublier que les
statistiques, même scrupuleusement établies sont des documents insidieux qui souvent masquent
la vérité. Celles qui furent
dressées après la guerre russo-japonaise sont
elles-mêmes quelquefois contradictoires. Et pourtant II est indéniable que
pendant cette guerre les troupes
russes furent tellement éprouvées au point de
vue mental que le commandement dut créer des hôpitaux
psychiatriques à Moukden et à Kharbine, N'accordons donc qu’une valeur
relative aux statistiques et surtout ne comptons pas trop sur elles pour nous
faire une idée de l'influence que la guerre actuelle aura pu
avoir sur l'état mental de nos soldats. Outre qu'il est
encore impossible d'en établir de générales à l'heure
actuelle, elles n'auraient qu une valeur quantitative et, suivant
le précepte antique, il vaut mieux peser que mesurer les observations. Dans la population civile, la
fréquence des crises neuropsychiques
fut relativement grande au début de la guerre. Cela n'a rien
d'étonnant; c'est un phénomène qui n'est nullement propre aux périodes de
guerre; on l'observe à l'occasion de toutes les grandes catastrophes, tremblements
de terre, épidémies, incendies soumettant l'individu à un
choc moral intense. Et il faut bien
reconnaître que le caractère de violence, d'atrocité et de durée indéfinie
que revêt la présente guerre constitue une circonstance singulièrement aggravante,
en comparaison de la durée brève d'un accident de chemin de fer ou
d'une éruption volcanique. Dans ce dernier, l'émotion
est produite une fois pour toutes, tandis qu'au cours des
guerres longues et dures, elle est réellement renouvelée et variée d'une
manière incessante. Ces répétitions s'ajoutent les unes
aux autres et rompent, chaque jour un peu plus, le fragile équilibre
mental, de telle sorte qu'un moment vient où une dernière mauvaise
nouvelle suffit à le rompre, à déclencher la dépression neurasthénique
ou, plus rarement, l'excitation du délire. De tous ces gens qui n'ont pas
résisté, qui ont perdu la tête, de tous ces défaillants de la
première heure, la plupart portaient en eux le germe latent de leur
débilité nerveuse, que celle-ci soit due à
l'hérédité, à l'intoxication alcoolique ou à la mauvaise direction de leur
hygiène générale. Si l'on a vu les prédisposés affluer les premiers jours dans les
hôpitaux. les uns en pleine confusion mentale, d'autres en
pleine dépression nerveuse, d'autres en état d'excitation, il ne
faut rien exagérer. Si ces malades ont paru nombreux, c'est qu'on
les observait dans des services spéciaux où tous étaient concentrés. En réalité, leur
proportion relative par rapport aux sujets
sains a été faible. Et, surtout, beaucoup de ces vésanies ont été
de courte durée; une sélection s'est faite qui a éliminé les êtres
trop faibles, incapables de supporter les chocs émotionnels
d'une telle intensité. Les autres se sont adaptés et, grâce
aussi à une série de mesures très sages: suppression de l’absinthe,
fermeture de bonne heure des cabarets, etc., ils ont pu maintenir
le contrôle de leur système nerveux,
conserver leur Stabilité nerveuse si nécessaire. Et depuis lors cet
équilibre s'est maintenu, même sous le régime de la grosse Bertha ou
des Godasses. Jamais on n’a observé chez nous ces phénomènes d'angoisse que le
Dr Hoche, de Fribourg-en-Brisgau, a décrits chez ses
compatriotes. Si de la population civile, on
passe aux soldats à l’avant, on constate beaucoup de faits semblables. Il y a déjà longtemps que, dans une
lettre devenue célèbre adressée au professeur Lacassagne, Jacoby
démontra que la bataille moderne au point de vue de
l’effet psychique qu'elle produit, est comparable aux grands bouleversements
cosmiques et détermine comme eux de véritables
épidémies de troubles cérébraux. Supportant toutes les fatigues
et soumis à toutes les émotions,
nos soldats ont pu présenter des troubles psychiques plus
fréquents qu'en temps de paix. Qui pourrait s'en étonner ? Ce qu'il y a d'intéressant c'est
de voir que, comme l'a montré Georges Dumas, tantôt la guerre s'est contentée
de colorer les délires, en donnant la matière de ses thèmes
délirants à un malade qui, suivant
toute apparence, aurait pu délirer sans elle ou qui délirait
quelquefois avant l‘ouverture des hostilités: tantôt elle a agi d'une
façon plus profonde, en provoquant des accès
passagers d'excitation ou de dépression, de
mélancolie, de neurasthénie par les fatigues, les surmenages.
les changements d'hygiène. D'autres fois, elle a agi directement
sur le système nerveux par l'horreur que soulèvent certaines batailles, par
les émotions intenses, les commotiOns : elle a fait alors plus que de
révéler seulement des psychoses latentes, elle
est devenue responsable sans mélanges. Ce serait le lieu de passer
en revue tous les troubles mentaux aigus, depuis les
confusions mentales jusqu' aux états commotionnels, tous les
troubles chroniques et d'examiner la façon dont ils
ont évolué avec la guerre. Mais ce serait
tenter d' écrire tout un traité de psychiatrie qui n'intéresserait
guère le lecteur et pour lequel je n'ai aucune compétence. Il est
cependant intéressant de noter que les psychoses aiguës
ont été passagères et ont guéri rapidement, mais il est navrant de constater que plus de
la moitié, à peu près les deux tiers, ont eu pour cause
principale et immédiate l'alcoolisme aigu (1). Combien de troubles qui n'
eussent été qu'un malaise nerveux léger et qui ne sont que
tels chez un sujet abstinent ! Il semble aussi que la. guerre a porté un coup de fouet fatal aux troubles
mentaux chroniques et plus particulièrement
à la paralysie générale. Alors que cette maladie met, d'une
façon habituelle de
trois à cinq ans à
effectuer son évolution, elle n'a guère duré que dix mois chez les
officiers observés par le Dr Mignot. Mais il faut. bien se souvenir
que ces troubles chroniques étaient antérieurs à la guerre qui n'a eu sur eux
qu'une influence accélératrice. Il serait intéressant de savoir ce qui
s'est passé chez les Allemands. Les
détails que nous avons manquent malheureusement de précision.
Tandis que certains de leurs psychiatres déclarent que les maladies
mentales ont augmenté depuis la guerre dans d'effroyables
proportions, on en trouve d'autres qui insistent sur le petit nombre de troubles mentaux
et nerveux constatés dans l'armée
allemande. Stransky se fonde même sur ces observations
pour opposer la résistance nerveuse de la race allemande à la fragilité
nerveuse de la race latine, et Nonne
en prend prétexte pour prouver la supériorité
de l'éducation allemande à la maison et, à l'école,
la supériorité de l'alimentation. En tout cas, dans l’armée
allemande, on a évacué beaucoup de débiles mentaux. Mais Cimbal l'explique
en disant que chezeux on évacue comme faibles d'esprit des soldats qui
seraient très au-dessus de la moyenne dans les armées ennemies,
Toujours le „Deutschland äber alles „ ! Ce qu'il y a de plus
certain - je l'ai entendu répéter par plusieurs de nos
médecins rapatriés - c'est que
les Allemands ont manifesté souvent leur surprise du peu de cas d'aliénation
mentale observés chez nos soldats prisonniers. C'est là une constatation qui
doit être douce à nos cœurs et c' est sur elle qu'il faut conclure. Nous avons le droit d'être fiers
de la manière dont notre race a supporté le choc.
La rude expérience internationale est montrée flatteuse pour l'équilibre
de notre système nerveux. A l'arrière, la
France a maîtrisé ses nerfs et tendu son énergie. A l'avant. nos troupes,
soumises à des efforts qui dépassent
l'imagination humaine, se sont adaptées. « Dans l'ensemble, dit le
professeur Jean Lépine, leur santé n'a pas fléchi. Leur système nerveux ne porte que
les marques naturelles de la
lutte. Il n'y a eu, ni dans l'enfer de Verdun, ni dans les autres, d'épidémie
mentale quelconque, ni par la crainte, ni par l'horreur. Rien, chez nous, ne
rappelle les grandes folies publiques du Moyen Age, et s'il
y a des psychoses de guerre, c'est que les psychoses ne sont pas
uniquement des maladies de l'esprit. » Dr
MAURICE GENTY. Commentaire Les
chiffres: aujourd'hui ils paraîtraient extrêmement bas! Notons
que « la paralysie générale », syphilitique est une maladie qui a
maintenant disparu, et
que la toute récente schizophrénie (Bleuler 1911) n’est pas citée. |